Même si sa version des faits n’est « pas parfaite », le juge a accordé une grande crédibilité au témoignage d’Abraham Leblanc et a cru sa version sur la force utilisée pour repousser Lionel Martineau hors de son terrain le 26 octobre 2019, lorsque l’homme de 92 ans y est entré avec son chien Wilson, un labrador. L’accusé avait demandé à plusieurs reprises à la victime de quitter son terrain, craignant pour la sécurité d’un enfant à proximité, avant de lever la main pour repousser M. Martineau, qui se serait accroché les pieds et est tombé, se heurtant la tête au sol. C’est l’accusé lui-même qui a appelé les secours et qui a tenté de lui venir en aide pour qu’il n’aggrave pas son état de santé en attendant l’ambulance, mais Lionel Martineau est tout de même décédé deux jours plus tard et M. Leblanc a été formellement accusé d’homicide involontaire quelques mois plus tard.
L’interprétation des événements de M. Leblanc a largement été corroborée par un témoin d’âge mineur, dont la vidéo de son interrogatoire au lendemain des événements a été présentée en preuve. Le juge n’a toutefois accordé que peu de crédibilité au témoignage de l’agent Ralph Dallaire, le policier intervenu sur les lieux le jour du drame, puisqu’il n’avait pas pris de notes avant plusieurs heures après l’intervention et qu’il s’est contredit à quelques reprises dans les mots exacts que l’accusé lui a dits.
« […] Il a été reconnu par la plus haute instance au pays que tout attouchement non souhaité, aussi minime soit la force ou la puissance employée, est criminel », a toutefois noté Benoit Gariépy, considérant que M. Leblanc a commis des voies de fait en repoussant M. Martineau. Le juge n’a toutefois pas pu établir hors de tout doute raisonnable que c’est ce qui a causé les blessures menant au décès du nonagénaire.
Légitime défense
Le juge a consacré une partie importante de son jugement à la question de la légitime défense par l’accusé. L’entrée d’un chien qu’il ne connaissait pas sur son terrain en direction d’un enfant l’a amené à intervenir rapidement, même si le chien ne montrait aucun signe d’agressivité. « L’accusé, avec la vitesse à laquelle les événements totalement inattendus se sont déroulés, ne pouvait prendre le temps d’évaluer le degré potentiel de dangerosité [du chien]. Il devait agir rapidement », a soutenu M. Gariépy. Selon son jugement, « une personne raisonnable, qui aurait été à sa place, pouvait raisonnablement croire qu’une attaque du chien était imminente, même si, en fin de compte, cette croyance était possiblement erronée ».
Le juge Gariépy s’est aussi rangé du côté de M. Leblanc quant au moyen pris pour se défendre contre la « menace », estimant qu’après avoir demandé à au moins trois reprises à Lionel Martineau de quitter le terrain et tenté sans succès de barrer la route au chien qui s’approchait d’un enfant, il ne lui restait plus beaucoup d’options. « Aurait-il dû penser à [saisir la laisse du chien]? Aurait-il pu la saisir? Autant de questions qui demandent réflexion et l’accusé n’avait pas le loisir de réfléchir à ces éventualités », a-t-il analysé, comparant le choix qu’a dû faire l’accusé à celui d’un policier devant une situation critique. De plus, dans le contexte, « l’accusé a utilisé une force des plus minimales » sur la victime pour l’expulser de son terrain, même si les conséquences ont potentiellement mené à sa mort.
C’est ainsi que Benoit Gariépy a déclaré non coupable Abraham Leblanc des deux chefs pesant contre lui. Du même coup, deux requêtes suspendues (requête en divulgation de la preuve et requête en arrêt des procédures) formulées par Me Martin Latour, avocat de la défense, n’auront pas à être traitées puisque les conclusions sont à sa satisfaction. Me Latour était toutefois absent au moment de la lecture du jugement et n’a pas été en mesure de commenter le verdict.
En appel?
Du côté du Directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Marie-Claude Morin a affirmé peu après la lecture du verdict qu’elle allait prendre « le temps de le lire et d’en discuter avec les procureurs chargés des appels. Dans un dossier comme celui-ci, comme c’est le cas pour toutes les situations d’acquittement, on se doit de réfléchir et d’évaluer la possibilité ou non d’un appel ». Me Morin en profite aussi pour remercier la famille de Lionel Martineau pour sa collaboration tout au long du processus qui s’est échelonné sur près de 4 ans. Il n’a toutefois pas été possible de parler à un membre de la famille Martineau pour recueillir des commentaires avant de mettre sous presse. Rappelons que les enfants du défunt avaient de leur côté intenté une poursuite au civil contre Abraham Leblanc en août 2022, lui réclamant une somme de 310 000 $ à titre de dommages et intérêts pour responsabilité civile. Cette poursuite avait été suspendue le temps que le jugement du procès criminel soit rendu.