La première petite histoire remonte à mon cinquième secondaire. Nous devions présenter un oral d’opinion pour la classe de français. J’avais choisi le clonage. Nous sommes au tournant des années 2000 et le clonage faisait partie de la discussion. J’étais contre le clonage. J’étais contre parce que… en fait, je n’avais pas d’arguments. J’étais contre voilà tout et aucun argument scientifique n’aurait pu me faire changer d’idée.
Je ne crois pas avoir été marqué à ce point par cet épisode, mais j’ai probablement retenu une chose inconsciente. Mon opinion vaut bien celle d’un autre. En fait, je dis « inconsciente », mais pas tant. Depuis ma naissance, on me répétait que les opinions ne se discutent pas; que mon opinion vaut autant que celle des autres et que j’ai le droit de la défendre. On vous a surement élevé de la même manière.
C’est seulement avec le cégep puis l’université que j’ai appris deux choses. D’abord, mon opinion ne vaut pas mieux que celle d’un autre et, parfois, elle ne vaut carrément rien devant une opinion éclairée. La deuxième chose, c’est qu’il y a une différence entre un fait et une opinion. Et j’ai beau croire avoir raison, ça ne veut pas dire que j’ai raison. Mais sans avoir poussé cette réflexion, je serais encore aujourd’hui « un gars d’opinion », une grande gueule qui croit que son opinion vaut bien celle d’un spécialiste. Voilà pour l’opinion.
Maintenant la colère. Pour la deuxième courte histoire, je vous ramène il y a environ 15 ou 16 ans. J’ai un baccalauréat en communication et science politique en poche, mais je ne trouve pas de travail. Je travaille donc comme concierge dans des hôpitaux et je déteste ça. Je me lève le matin à 5h30 pour aller passer la moppe. Rien contre le métier, mais après plusieurs années d’étude, j’aspirais à mieux.
J’étais souvent fâché. Contre la job, puis contre la société. J’écoutais de la musique punk agressive avec des messages révolutionnaires. Je lisais des ouvrages et des textes sur l’anarchie et les injustices de ce monde. Mais au lieu de retenir les visions critiques sur notre société, je retenais les passages qui parlaient de violence de l’État et du fléau des élites. Si je possédais si peu de choses, c’est parce qu’eux s’accaparaient tout. J’y crois encore un peu aujourd’hui, mais je suis plus nuancé. J’ai découvert que le monde et les forces qui l’animent sont plus complexes que je le croyais. Mais à l’époque, je retenais de la contre-culture ce qui faisait mon affaire, tassant du revers de la main les passages qui me parlaient de communauté, de solidarité, d’entraide, d’acceptation.
De colère et d’opinion ce Vincent. Sans nuance. Un jeune homme blanc fragile et en colère contre les autres. Contre ceux qui avaient tout, contre les gouvernements « corrompus ». Un peu plus, et c’était la faute des immigrants et des femmes, mais je n’ai jamais franchi ce pas.
Ce Vincent de colère et d’opinion, il condamnerait probablement le port du masque. Il pourfendrait les élites qui veulent le contrôler et maudirait ces gens d’affaires pourris qui veulent son cash. Pour moi, cette colère et cette glorification de l’opinion expliquent beaucoup les 10 000 manifestants anti-masque de samedi dans les rues de Montréal. Regardez le portrait type des complotistes et des chroniqueurs radicaux. Ne sentez-vous pas de la colère? N’y voyez-vous pas un peu trop d’opinion, glanée ici et là après avoir « fait ses recherches »? Un peu trop de Vincent obstineux en colère?
16 septembre 2020 - 14:19
Colère et opinion
Vincent Guilbault
J’aurais pu titrer cette chronique les deux Vincent. Je vais vous parler du premier Vincent en deux petites histoires. Une d’opinion, une de colère.
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