Pour l’occasion, la Ville a fait appel à un animateur pour diriger les discussions et à plusieurs experts qui allaient pouvoir répondre aux principales questions qui ont été soulevées pendant la première rencontre. Dans son introduction, la mairesse Nadine Viau se montrait rassurante. « On a pris acte des inquiétudes que vous aviez. […] On a travaillé très fort dès le lendemain [de la rencontre du 14 septembre] pour chercher les réponses aux questions », a-t-elle soutenu avant de céder la place à Vincent Verdon, directeur de l’urbanisme, et à Damien Sanschagrin, urbaniste, qui ont abordé une quinzaine de sujets pendant la soirée.
Montant triplé, une maison retirée
Assez peu d’éléments présentés le 19 octobre divergent du projet de règlement original. Principalement, on remarque que l’enveloppe réservée aux éventuelles subventions accordées pour des travaux sur les maisons citées passerait de 200 000 $ à 625 000 $, soit plus du triple. Toutefois, au moment de la rencontre, il était impossible de garantir que les montants seraient reconduits au-delà de décembre 2023, bien que la Ville ne s’inquiétait pas de manquer de fonds pour répondre à la demande.
Belœil propose aussi de bonifier son aide aux propriétaires de maisons citées en leur donnant accès à des conseils professionnels spécialisés en patrimoine. Les huit premières heures de services professionnels seraient aux frais de la Municipalité, bien que des projets de rénovation plus importants puissent prendre davantage de temps; ces frais seraient alors la responsabilité des propriétaires. Lors de la dernière rencontre, il a aussi été possible de constater qu’une des 55 maisons visées par le règlement avait été retirée de la liste.
Le reste de la rencontre a essentiellement servi à reformuler ce qui avait déjà été présenté auparavant dans le but de rassurer les propriétaires qui voient davantage de négatif que de positif dans une citation. Par exemple, la Ville soutient que pas moins de 84 % des maisons visées sont déjà soumises au règlement sur le plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) et que la citation ne changera pratiquement rien aux demandes futures, d’autant plus que le comité local de patrimoine (CLP), qui doit se pencher sur les demandes concernant des bâtiments cités, est composé des même gens que le comité consultatif d’urbanisme (CCU).
Assurabilité
Le dossier de l’assurabilité est un de ceux qui ont le plus soulevé les passions pendant la rencontre du 19 octobre. La Ville a multiplié les démarches auprès de plusieurs organismes, comme l’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), pour en venir à la conclusion que le premier critère qui décide de l’assurabilité d’un bâtiment est sa valeur d’âge, donc qu’une citation n’aurait pas un effet très significatif. Elle n’a toutefois invité aucun représentant du monde des assurances à la soirée pour confirmer ses dires ou nuancer certains points.
C’est surtout l’APMAQ, représentée par sa directrice générale Noémi Nadeau et l’administrateur Claud Michaud, qui a essayé de rassurer les propriétaires qui craignaient toujours de ne plus être assurés ou de voir leur prime exploser. De son côté, la Ville a signifié son intention de faire parvenir à chaque propriétaire de future maison citée une lettre à l’attention de leur assureur afin de garantir une certaine « prévisibilité », un critère qu’elle estime très important pour les assureurs.
Du cas par cas
Les urbanistes de Belœil ont tenté de donner des exemples concrets de travaux qui pourraient être acceptés à la suite d’une citation et qui pourraient bénéficier d’une subvention, mais ce volet a soulevé plus de questions que de réponses, amenant des citoyens à souligner qu’il y avait beaucoup trop de « si » impliqués dans les explications. Une demande de modification d’un matériau pourrait ainsi être acceptée pour une maison, mais refusée pour la prochaine, ou être acceptée, mais sans avoir droit à la subvention. Une citation n’empêcherait pas non plus automatiquement un agrandissement. « C’est du cas par cas », confirme Damien Sanschagrin.
Vers la fin de la rencontre qui a duré plus de deux heures, un citoyen a lancé à la fois des fleurs et un pot à la Ville, suscitant de vifs applaudissements dans la salle. « Votre projet, il est beau. Votre projet, il tient le cap. […] On a un devoir de souvenance, on a un devoir de protéger ces maisons-là pour les prochaines générations. Les propriétaires de ces maisons, si on les a, c’est parce qu’on les aime. On investit de l’argent dedans. […] Ce que vous faites, c’est correct et je l’appuie. Par contre, vous me demandez de m’engager, vous me demandez d’engager les générations futures de cette propriété-là, mais vous ne vous engagez pas. Si on est capable de protéger notre propriété, on est capable de s’engager à donner des subventions de manière récurrente. Vous me demandez de danser le tango avec vous en 2023, mais vous allez peut-être me laisser seul sur la piste en 2024. »
Rencontre décevante
Quelques propriétaires visés par le projet de règlement ont parlé à L’ŒIL à la suite de la rencontre. Aucun d’eux ne s’est montré rassuré de ce qui s’est dit le 19 octobre, même s’ils reconnaissent que la Ville était mieux préparée qu’à la première rencontre. « Une question n’a jamais eu de réponse : est-ce qu’il existe d’autres moyens que la citation pour protéger ces bâtiments? », demande notamment Yan Cloutier, propriétaire du 969, rue Richelieu, où se trouve Le Cracheur de Feu. Il soutient que plusieurs propriétaires, dont des personnes âgées, ont encore peur des conséquences d’une citation et qualifie d’« acharnement » l’attitude de la Ville dans ce dossier.
Dans la même veine, Maria Di Domenico, propriétaire du 910-914, rue Richelieu, estime que le conseil fait preuve d’« aveuglement volontaire » quant aux problèmes que va apporter une citation, comme une hausse de ses primes d’assurances. « Il y a sûrement d’autres moyens pour protéger ces maisons. Imposer la citation, c’est punir les propriétaires et je ne suis pas rassurée par la mise en scène [du 19 octobre] qui frôlait la manipulation », a-t-elle décrié.
Aussi présent à la dernière rencontre, Ghislain Leboeuf, propriétaire du 894, rue Richelieu, n’a pas changé de position quant à la citation, qu’il a bien l’intention de combattre, comme il craint de ne plus être capable de vendre sa demeure à un prix juste dans les prochaines années.
Le journal a pris contact avec d’autres propriétaires absents à la dernière rencontre ou qui y sont restés muets. De son côté, David St-Pierre, copropriétaire du 940, rue Richelieu (l’actuel Blanc Pur Café), affirme que ses avocats sont en discussions avec ceux de Belœil afin que ce bâtiment soit retiré de la liste. « Je n’ai pas pu assister à la dernière soirée, mais je ne suis toujours pas d’accord avec le projet de règlement. Je sais qu’il n’y a rien de garanti, mais je vais faire en sorte que la Ville respecte les citoyens qui veulent être respectés », insiste M. St-Pierre.
Claude Demers, copropriétaire du 1100, rue Richelieu, confirme pour sa part s’être tenu tranquille à la rencontre du 19 octobre, mais ne se dit pas particulièrement rassuré de l’évolution du projet de règlement. Il remarque que « la mairesse a tenu des propos plus ouverts [pendant une rencontre en privé] que ce qui a été dit » pendant la soirée par les employés de la Ville. « Je sens que cette soirée n’a apporté aucune réponse et qu’on essayait de nous vendre un règlement en échange de subventions », décrie-t-il.
Adoption repoussée en décembre
Le sujet a aussi été abordé en séance publique du conseil lundi, à la fois par les élus que par certains citoyens pendant la période de questions. Notons que l’adoption du règlement, initialement prévue cette semaine, sera finalement repoussée au 14 décembre 2022.