Les échanges entre le maire et le président d’Odacité, Steve Richard s’étendent sur près de 100 captures d’écran et couvrent la période allant du 6 septembre 2018 jusqu’au 20 mars 2020. Dans un ton souvent familier, les deux hommes discutent du projet de la rue Saint-Georges, en y mélangeant quelques blagues et critiques envers les opposants.
À noter que le journal a reçu ces échanges d’une source anonyme, mais que nos vérifications démontrent bien leur authenticité.
Précisons qu’aucun message n’a été envoyé entre la mi-août 2019 et le 7 février 2020. Yves Corriveau avait demandé à M. Richard de ne plus lui écrire. Quelques jours auparavant, il avait confié qu’il se sentait « surveillé ». C’est l’élu qui a contacté le promoteur des mois plus tard pour lui demander s’il retirait son projet de la rue Saint-Georges, chose qui s’est produite.
Notons que ces échanges ont eu lieu sur le téléphone fourni au maire en fonction par la Municipalité.
Familiarité et manque de solidarité
Danielle Pilette n’a rien vu d’illégal dans les échanges, mais elle estime que le maire Yves Corriveau aurait pu maintenir une communication plus professionnelle et empreinte de dignité. « C’est très informel et ça contient des anecdotes. Cela porte un certain ombrage à la dignité et la fonction de maire. »
Mme Pilette reproche aussi à l’élu un manque de solidarité institutionnelle, car Yves Corriveau critique plusieurs opposants au projet, dont Marché Metro Riendeau, ainsi des directeurs de la Ville qu’il soupçonnait de participer à une « conspiration ». Il écrit même à son interlocuteur qu’il pourrait « mettre en boîte [Louis] Toner », le seul conseiller municipal indépendant de Mont-Saint-Hilaire à ce moment-là. Les échanges ne permettent toutefois pas de comprendre explicitement comment le conseiller pourrait être mis dans une situation embarrassante.
« Il manque de respect aux opposants. Ils doivent être consultés comme les autres. Une autre chose notable, le promoteur fait des commentaires sur l’embauche du directeur général (Daniel-Éric St-Onge), explique l’experte. Le maire ne lui rappelle pas que le DG représente l’administration et l’institution et qu’il agit dans l’intérêt de la collectivité. Les communications montrent que le leadership institutionnel pourrait être amélioré. […] De façon générale, les maires ont tendance à éviter le sujet de la solidarité. Un maire se voit comme une instance et le reste du conseil comme une autre instance différente. »
Les échanges ont permis aussi à Mme Pilette de constater que Mont-Saint-Hilaire n’avait pas procédé par appel d’offres pour vendre une partie de terrain au promoteur. Les deux parties discutent notamment des négociations entourant l’échange et la vente de terrain, de même que des besoins du promoteur. Le maire avance même un chiffre pour la vente d’un terrain à un tiers parti. « Il y a amélioration de la performance quand on procède par appel de propositions pour pouvoir tester ainsi le marché. Ce n’est pas illégal toutefois de procéder de gré à gré. »
Notons que le processus maintenant en place à Mont-Saint-Hilaire exclut toute interaction directe entre les promoteurs et les élus de tout niveau, pour toute la durée de la négociation reliée à un terrain. « Lors d’une demande, le conseil est informé et désigne un service interne ou externe pour l’exécution du mandat qui est préalablement circonscrit », explique la porte-parole de la Municipalité, Julie Benjamin.
Information partiellement disponible
Yves Corriveau a confirmé le 2 novembre 2020 qu’il avait effacé ses messages textes ainsi que des courriels concernant le projet de la rue Saint-Georges. Concernant ses courriels, M. Corriveau ne pouvait expliquer comment il en était venu à les supprimer. La Municipalité a dû engager une ressource externe pour les récupérer.
Concernant les textos, M. Corriveau les a effacés quelques semaines après son voyage controversé au Burundi, lequel a mené à l’éclatement de son parti politique. « J’étais à terre. Je ne me souviens pas du contenu exact du message. Mais j’en avais assez, je me suis dit que la controverse, ça va faire. J’ai demandé à Steve d’arrêter de m’écrire », avait-il rapporté en entrevue accordée à L’Œil Régional en novembre 2020. La Municipalité a été incapable de retrouver les textos.
Messages partagés
À la demande de la Municipalité, Steve Richard a remis cet été une copie des messages textes en question aux élus, sous le sceau de la confidentialité. L’ŒIL a donc demandé aux autres élus, qui se retireront tous de la politique au terme de ce mandat, de partager leurs impressions. Seul Jean-Pierre Brault n’a pas donné suite à notre demande.
Les conseillers étaient mal à l’aise de constater la proximité du maire avec le promoteur dans les échanges. « Je pense que les élus et en particulier le maire devraient conserver une certaine distance afin de ne pas créer d’attente entre les parties. À la suite de la lecture, une certaine frustration s’est fait ressentir sur la proximité entre le maire et le promoteur. Certains échanges auraient pu compromettre la souveraineté du conseil », souligne Sylvain Houle. « [Les agissements du maire] étaient toujours aux limites de l’acceptabilité éthique, tant qu’il a fallu faire un nouveau code d’éthique », avance de son côté Émile Grenon Gilbert.
Pour sa part, Louis Toner estime que le maire a fait de l’ingérence. Il s’est aussi dit peu surpris que M. Corriveau l’ait cité dans les échanges. Selon lui, c’est une preuve que le maire cherchait à le discréditer en tant qu’opposant.
Réactions
Steve Richard et Yves Corriveau sont furieux que le contenu des messages se soit rendu entre les mains de L’Œil Régional. « La personne qui a donné ces messages commet un acte illégal. Je trouve ça plate, j’ai donné ça à la Ville en toute transparence », dit Steve Richard.
Le maire Yves Corriveau soupçonne même qu’un élu ait laissé filtrer les documents et redoute une éventuelle poursuite judiciaire de la part d’Odacité. « C’est un geste qui va probablement coûter des milliers de dollars à la Municipalité. »
Le maire Yves Corriveau reconnaît que certains commentaires ont pu déborder d’un cadre formel, car des messages textes correspondent à une conservation. « Ça arrive qu’on déborde dans une conversation. À titre d’exemple, je peux dire : je vais lui donner une claque en arrière de la tête. Est-ce que ça veut dire que je vais le faire ? Bien sûr que non. Dans un courriel officiel, on n’aurait rien trouvé de ce qui est dans les textos. »
Il explique de plus que ses critiques orientées notamment vers Metro étaient le résultat d’un trop-plein. « Il y avait [l’organisme] La Voix des citoyens qui me plantait moi et la Ville. Tout le monde savait que c’était Metro Riendeau qui était derrière ça. Metro préparait sa guerre de bannières. Quand je voyais ça, j’étais en maudit, car je savais que l’épicerie passait par la Ville pour s’attaquer [aux Marchés] Pepin. »
L’Œil Régional a tenté d’obtenir une réaction de Metro Riendeau. Gabriel Riendeau, directeur des opérations, a décliné notre offre.
Concernant la « conspiration » des directeurs soulevée dans les échanges, Yves Corriveau explique que ce passage concerne un autre sujet qui n’a rien à voir avec le projet Saint-Georges. D’ailleurs, Steve Richard ne commente pas cette intervention dans leur conversation.
Le maire sortant assure avoir tiré des leçons de ce dossier. « Maintenant, quand un promoteur s’adresse à la Ville, il y doit avoir la présence d’un élu et d’un fonctionnaire. Je suis victime de ma bonté de vouloir que le projet se réalise. J’y tenais à ce projet-là. »
Steve Richard est aussi d’avis que le maire n’a fait que la démonstration qu’il croyait au projet, comme la majorité des autres membres de son conseil et le comité consultatif d’urbanisme. « Je fais plusieurs projets dans plusieurs villes. Il y en a où les élus sont hyper impliqués et d’autres moins. […] À Mont-Saint-Hilaire, les gens ont travaillé fort pour avoir le plus beau projet de la Rive-Sud. Il fallait sauver des emplois (pour éviter la fermeture temporaire du IGA). Le maire l’a peut-être trop pris personnel et a voulu ainsi prendre ça sous son bras pour aider dans la négociation. De notre côté, tout a été fait dans le respect des règles. »