Les audiences de l’examen en déontologie des agents Brigitte Légaré et Martin Fisette se sont terminées la semaine dernière. Les différentes parties ont siégé pendant deux jours pour entendre d’abord un dernier témoin, soit un sergent de la RIPRSL responsable de revoir la directive d’intervention du corps policier en matière de violence conjugale, puis les plaidoiries des avocats. Le processus en déontologie policière a commencé en mars dernier avec cinq jours d’audience.
Le Commissaire à la déontologie policière reproche aux deux policiers de ne pas s’être comportés de manière « à préserver la confiance et la considération que requièrent leurs fonctions » ainsi que de ne pas « avoir collaboré à l’administration de la justice » en n’arrêtant pas immédiatement l’individu après avoir reçu la visite de Daphné Huard-Boudreault au poste de police.
La juge administrative a pris l’affaire en délibéré et n’a aucun délai à respecter avant de faire connaître sa décision. Plusieurs possibilités de sanction attendent les policiers s’ils sont reconnus coupables, les plus sévères étant une suspension sans salaire de 60 jours, la destitution ainsi que l’inhabilité à exercer les fonctions d’agent de la paix pour cinq ans lorsque l’agent a démissionné, a été congédié ou a pris sa retraite.
Rappel des faits
Notons que la victime a eu deux interactions avec la police le jour du drame. Le matin, elle a appelé le 911, car Pratte-Lops refusait de quitter la voiture de Mme Huard- Boudreault stationnée devant le dépanneur où elle travaillait. Quatre policiers se sont présentés sur les lieux. Des agents sont restés jusqu’au départ de l’individu et ils avaient donné des conseils à Mme Huard-Boudreault, dont la recommandation de se faire accompagner pour aller récupérer ses effets personnels à leur appartement. Notons que des plaintes en déontologie avaient été également déposées contre ces agents, mais elles n’ont pas été retenues.
À la suite de l’événement au dépanneur, Daphné Huard-Boudreault s’est présentée au poste de police où elle a rencontré l’agente Brigitte Légaré, puis Martin Fisette. La jeune femme avait déclaré que son ex-ami de cœur avait volé son téléphone cellulaire et avait ainsi pris le contrôle de son compte Facebook. Elle était irritée par la situation et voulait que ça arrête, mais elle a refusé de porter plainte. Elle s’apprêtait à aller chercher ses effets personnels dans l’appartement de la rue Forest qu’elle partageait avec Pratte-Lops. L’agente Légaré a insisté pour accompagner la jeune femme, même si cette dernière ne voulait pas déranger les policiers. Daphné Huard-Boudreault a quitté le poste par la porte avant et la policière par la porte arrière. Daphné est arrivée chez elle quelques minutes avant la policière; la policière est arrivée après le drame.
Pratte-Lops a été arrêté sur-le-champ et a été condamné, en 2019, à une sentence d’emprisonnement à vie avec une possibilité de libération conditionnelle après 18 ans de détention. Une enquête a été menée parallèlement sur l’intervention policière par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI). Ce dernier a déposé ses conclusions au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui a ultimement décidé de ne porter aucune accusation contre les policiers. Le père de la victime, Éric Boudreault, a ainsi misé ses efforts auprès du Comité de déontologie policière, reprochant à la police de ne pas avoir protégé sa fille lors des interventions des agents le jour du drame.
Tout en main pour procéder à l’arrestation
L’avocate du Commissaire à la déontologie policière, Me Fannie Roy, a plaidé que les deux agents auraient dû demander à la victime de rester au poste de police le temps qu’ils aillent chez Anthony Pratte-Lops pour l’arrêter. Selon Me Roy, tous les éléments étaient en place : le vol du téléphone, objet qui contient de nos jours toute la vie d’une personne, correspondait à du harcèlement criminel. Elle savait qu’il y avait un mandat de perception à son égard en lieu avec des constats d’infraction. « Mme Légaré savait que M. Pratte-Lops souffrait de différents troubles et qu’il avait ainsi une sévère instabilité. […] Daphné Huard-Boudreault craignait même que l’individu s’en prenne à des animaux », a poursuivi l’avocate.
L’avocate a aussi mis en lumière que l’ancienne directive policière permettait aux policiers d’arrêter un individu sans que la victime ne porte plainte. Elle a aussi souligné que les audiences ont permis de constater que l’ancienne directive de la RIPRSL n’était pas suivie à la lettre.
De son côté, représentant les deux policiers, Me Mario Coderre a avancé qu’il n’y avait aucune raison de croire que M. Pratte-Lops serait violent. « Les policiers ne pouvaient pas prédire ce qui allait se passer. » L’avocat a aussi tenté de faire valoir que la directive n’était pas une norme juridique.
Il a aussi insisté énormément sur tous les gestes qu’ont pris les policiers pour garantir la sécurité de Daphné Huard-Boudreault. « Anthony Pratte-Lops disait qu’il était parti à Québec, l’agente Légaré ne le croyait pas. Elle a tenu à accompagner la victime pour aller chercher ses biens personnels au logement. L’agent Fisette a insisté pour que l’agente Légaré ait de l’aide d’autres policiers pour se rendre chez elle. Quand l’agente est arrivée sur les lieux, elle n’a pas attendu les renforts, elle est allée à la recherche de Daphné Huard-Boudreault. »
Peu de réactions
Me Fannie Roy ainsi que le directeur de la RIPRSL, Marco Carrier, se sont abstenus de commenter le dossier à ce stade-ci.
Pour sa part, le père de la victime, Éric Boudreault, a rappelé qu’il a dû persister pour que le dossier aboutisse devant le Comité de déontologie policière. « Ç’a été difficile d’obtenir ce procès. Ç’a pris deux refus avant de l’avoir. »
La porte semble ouverte pour que la famille entreprenne d’autres actions, selon les commentaires de l’avocate qui représente maintenant M. Boudreault, Me Virginie Dufresne-Lemire. « Nous sommes en train d’évaluer les possibilités de recours. Le procès en déontologie a permis de mettre en lumière certains éléments qui étaient auparavant inconnus par la famille. »