Nous avons une ville d’un côté qui veut, avec raison, protéger son patrimoine bâti. Lire ici obliger des propriétaires ou de futurs acheteurs de maison avec une valeur patrimoniale à les entretenir. C’est pour cette raison que la Ville propose de citer, d’un seul coup, 55 maisons dont la valeur patrimoniale est considérée comme « forte », « supérieure » et « exceptionnelle », selon une liste de bâtiments mise sur pied par la MRC de La Vallée-du-Richelieu.
Mais nous avons aussi d’un autre côté les propriétaires de ces bâtiments qui, eux, craignent tous les problèmes qui peuvent venir avec la citation de leur bien. Tout est encore théorique en ce moment, mais il est raisonnable de croire que ces maisons pourraient être plus difficilement assurables, pourraient perdre de leur valeur de revente et pourraient être plus compliquées à entretenir. Des troubles et des coûts importants pour certains de ces propriétaires, notamment des restaurateurs du Vieux-Belœil, qui doivent déjà jongler avec les défis post-pandémiques propres à la restauration. Devant les élus, le propriétaire du restaurant Le Cracheur de Feu, Yan Cloutier, s’est voulu très critique de cette ébauche de réglementation. « Ça me coûte déjà 1500 $ par mois pour m’assurer. Si ça triple, je mets une pancarte [à vendre] et je ferme tout ça », a-t-il lancé sous la forme d’un ultimatum au conseil municipal, lundi soir.
D’ailleurs, la séance publique du conseil municipal, particulièrement la période de questions, s’est transformée en affrontement sur la question. Beaucoup de propriétaires ont peur et ne se gênent pas pour le faire savoir aux élus, les priant de mettre l’adoption du règlement sur la glace.
Alors, qu’est-ce qu’on fait? La Ville se fait rassurante et a décidé, sagement, de repousser l’adoption du règlement jusqu’en décembre. Oui, Belœil doit protéger son patrimoine, et les municipalités sont sensibles à la question. Mais comme il s’agit d’une initiative de la Ville, rien ne presse, dans un sens. Peut-être que d’autres options que la citation existent et les propriétaires demandent aux élus et aux fonctionnaires de les explorer. Prenons donc ce temps.
Pour conclure, une petite note sur l’audace. Peut-être que si Belœil est la seule ville à avoir eu « l’audace » de citer 55 maisons d’un bloc, il faut peut-être y voir un drapeau rouge. La mairesse Nadine Viau utilise d’ailleurs ce terme pour qualifier le geste dans un article paru dans Le Devoir, en août dernier : « C’est audacieux, j’en conviens […] Je ne sais pas si nous sommes les premiers à agir de la sorte, mais je serais très heureuse de faire école. Peut-être que nous sommes des précurseurs. »
Peut-être oui. Certes, l’audace est synonyme de courage, d’aplomb et d’assurance. Un geste fort pour protéger notre patrimoine est un geste audacieux. Mais l’audace est aussi parfois synonyme d’insolence, d’effronterie et d’impudence. Et la ligne qui sépare les deux définitions peut être mince.