5 avril 2023 - 07:00
Exo à la demande
Encore des ratés, près de deux ans plus tard
Par: Olivier Dénommée
Après près de deux ans en fonction, le projet pilote exo à la demande fait encore des mécontents, autant du côté des utilisateurs, qui font face à des retards et des annulations, que des chauffeurs, qui ont des horaires très difficiles.
Photothèque | L'Œil Régional ©

Après près de deux ans en fonction, le projet pilote exo à la demande fait encore des mécontents, autant du côté des utilisateurs, qui font face à des retards et des annulations, que des chauffeurs, qui ont des horaires très difficiles. Photothèque | L'Œil Régional ©

L’Œil Régional publiait, il y a un peu plus d’un an, un reportage mettant en lumière les critiques qu’essuyait le projet pilote exo à la demande sur le territoire de Belœil et McMasterville. Si certaines situations rapportées ont été améliorées depuis, d’autres problématiques demeurent, près de deux ans après l’implantation du service de transport à la demande (TAD), qui a remplacé les lignes de bus à horaires et trajets fixes sur ce territoire.

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Quelques chauffeurs assignés au service exo à la demande, qui ont demandé de garder l’anonymat, ont relaté leurs observations et leurs commentaires à L’ŒIL. Ils assurent d’entrée de jeu ne pas avoir de parti pris contre ce service qui a remplacé à la fin mai 2021 les lignes fixes du secteur Belœil/ McMasterville. « Exo à la demande, c’est un des plus beaux projets qui pouvaient être offerts ici, note une chauffeuse. Mais de la façon que c’est géré, ce sont les clients qui écopent et j’ai peur pour l’avenir du service. »

Les problématiques dénoncées sont nombreuses, mais parmi les plus sérieuses, les chauffeurs déplorent des « trajets impossibles » à respecter. « L’algorithme nous donne un temps X pour nous rendre au prochain point, qui ne prend pas en compte le trafic ni les limites de vitesse et qui veut parfois nous faire tourner à des endroits interdits. Ça fait qu’on devient automatiquement en retard sur l’horaire, ce qui entraîne des annulations et des plaintes », déplore cette chauffeuse, qui est aussi celle qui a à gérer les clients mécontents à leur entrée dans le bus. « On est overbookés dans nos horaires et exo met ensuite la faute sur les manques d’effectifs et de bus pour expliquer les retards et les annulations. »

Elle estime toutefois que les trajets pourraient être mieux rentabilisés afin de diminuer les retards. « Des matins, on est quatre ou cinq chauffeurs qui travaillent et l’algorithme nous envoie chercher et déposer une personne à la fois. C’est sûr qu’on n’arrive pas dans ce temps-là », critique-t-elle. Même en période de pointe, les autobus d’exo à la demande n’approchent jamais de leur capacité maximale de 25 places assises.

Aucune pause

L’algorithme responsable des trajets ne prend pas non plus en compte les besoins physiques des chauffeurs, qui passent de nombreuses heures sans pouvoir prendre une pause, à moins que personne ne réserve un bus pendant une période donnée. Il est donc impossible, en théorie, d’arrêter pour aller aux toilettes, manger ou simplement prendre une pause au milieu d’un quart de travail qui dure normalement 5 h, mais qui s’étire souvent à plus de 12 h, voire à 16 h dans certains cas selon les témoignages recueillis. « C’est long, plus de 6 h sans pouvoir arrêter pour aller aux toilettes. Parfois, on n’a pas le choix d’arrêter au milieu d’un trajet, ce qui ajoute au retard. »

On se questionne aussi sur le côté sécuritaire de laisser une personne conduire un bus pendant d’aussi longues heures sans pouvoir prendre de pause. « Il y a des normes pour le conducteur d’un poids lourd qui transporte de la marchandise, mais pas pour un chauffeur de bus qui transporte des personnes », ironise un autre chauffeur, rappelant que cela fait déjà deux ans que l’on demande des pauses formelles à travers les horaires des chauffeurs affectés au TAD, sans succès jusqu’à présent. « On est en train de brûler tous les chauffeurs avec cette gestion. […] D’ici trois mois, je prédis qu’il ne restera plus aucun chauffeur pour offrir le service », commente un chauffeur exaspéré par la situation. Exo assure toutefois être en train de trouver une solution à cette situation précise qu’elle compte mettre en place prochainement.

Des panneaux d’arrêt pour exo à la demande se trouvent un peu partout sur le territoire de Belœil/McMasterville. Il n’y en a toutefois pas encore partout, ce qui peut créer de la confusion chez des utilisateurs qui ne sont pas habitués au service.
Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Retards et annulations fréquents

Il n’y a pas que des chauffeurs qui ont parlé des problèmes observés à L’Œil Régional. Quelques utilisateurs réguliers en avaient aussi long à dire sur des situations qu’ils ont vécues ces dernières semaines avec exo à la demande. L’une d’elles, Nicole, fait souvent face à des annulations de dernière minute pour des raisons nébuleuses. « Un matin, mon bus était programmé pour 9 h 15. À une heure d’avis, on me dit qu’il passera plutôt à 9 h 20. Et, à 9 h 45, j’apprends qu’il est annulé parce qu’il n’y a pas de chauffeur, alors que je sais qu’il y en a! » Elle a fait face à une autre annulation dernièrement, justifiée une fois de plus par la pénurie de main-d’œuvre, alors qu’au moins un chauffeur d’exo à la demande à qui le journaliste a parlé se tournait justement les pouces dans l’attente d’un premier trajet ce matin-là. « Je prends le bus depuis toujours, mais je le prends moins dernièrement parce que c’est rendu trop de trouble et que je ne sais jamais si mon trajet sera annulé ou retardé », déplore-t-elle, ajoutant qu’elle a déposé de nombreuses plaintes quant au service, sans jamais avoir de véritable retour.

De son côté, Vanessa reconnaît que certains problèmes se sont améliorés depuis l’implantation d’exo à la demande, mais qu’elle les constate encore, particulièrement aux heures de pointe où les retards semblent la norme. « Et ça arrive encore d’avoir des annulations sans avertissement. C’est choquant de voir trois bus d’exo à la demande passer devant nous, mais ne pas nous prendre parce qu’on n’est “pas dans la liste”. »

« Je comprends les utilisateurs mécontents et je comprends que des gens ont peur d’utiliser le service qui n’est pas assez fiable. Quand on croise des clients qui ont été annulés par le système, ça arrive que je les prenne quand même. Les chauffeurs, on reste des humains qui veulent aider », soutient une chauffeuse d’exo à la demande. Elle soulève d’ailleurs un cas exceptionnel où le trajet d’un client a été annulé par le système pendant qu’il se trouvait dans le bus! Elle l’a finalement amené à destination malgré tout.

Dans les deux cas, les utilisatrices interrogées par L’ŒIL n’ont pas de voiture et se disent heureuses de la gratuité instaurée ces derniers mois à Belœil/McMasterville, mais elles avouent qu’elles préféraient payer pour un service fiable, comme ce qui était proposé avant l’implantation du TAD. « J’en suis à penser à m’acheter une auto », lance d’ailleurs Vanessa. Des commentaires similaires qui reviennent d’ailleurs souvent aux oreilles des chauffeurs d’exo à la demande.

« Rien de majeur »

Invité à commenter sur les situations décriées par des chauffeurs et des utilisateurs, le porte-parole d’exo Jean-Maxime St-Hilaire a tenu à relativiser la situation, rappelant que malgré les imperfections, le transport en commun est plus populaire que jamais dans le secteur Belœil/McMasterville, ayant connu une hausse d’achalandage de 124 % par rapport à 2019, soit la dernière année prépandémique. On estime ainsi à 3500 déplacements en moyenne par mois dans ce secteur seulement. « Cette hausse de l’achalandage a entraîné plus de déplacements et donc moins de temps à l’arrêt entre chaque trajet que les chauffeurs doivent réaliser. Nous travaillons déjà sur des solutions avec notre fournisseur pour offrir plus de temps à l’arrêt aux chauffeurs. »

Il estime que l’application Link, avec laquelle il est possible de réserver son trajet, n’a pas connu de « ratés » récemment. « Comme tout outil technologique, quelques bogues mineurs sont parfois survenus, mais rien de majeur. Par ailleurs, l’algorithme derrière exo à la demande crée les trajets les plus efficaces pour les clients, selon les paramètres identifiés par l’équipe d’exo. » Exo considère que l’algorithme répond de façon générale très bien aux besoins de la clientèle et ne veut pas nécessairement prioriser des trajets qui embarqueraient plus de monde à fois. « Ce n’est pas un enjeu majeur pour nous à ce stade. » Quant aux nombreuses annulations de dernière minute, M. St-Hilaire se demande si ce n’est pas, dans certains cas du moins, une mauvaise manipulation du chauffeur dans l’application qui peut causer certaines situations.

« Comme il s’agit d’un projet pilote, nous sommes bien sûr en processus d’amélioration continue du service. Nous avons déjà intégré les commentaires des usagers au projet en réimplantant la ligne fixe 20B à l’été dernier pour optimiser la desserte de la gare [de McMasterville]. Nous sommes également récemment allés à la rencontre des chauffeurs pour recueillir leurs commentaires et ainsi les intégrer à l’amélioration du service », conclut Jean-Maxime St-Hilaire.

Une journée à bord d’un bus

Après avoir récolté de nombreux témoignages négatifs depuis l’implantation d’exo à la demande en 2021, L’Œil Régional a voulu constater de lui-même la réalité dans un bus. Le journaliste Olivier Dénommé a ainsi passé plusieurs heures à bord d’un autobus, constatant en temps réel certaines des problématiques dénoncées à la fois par des utilisateurs et les chauffeurs.

Premier constat : même si l’achalandage est à la hausse par rapport à la période pré-pandémique, les bus demeurent souvent bien vides, particulièrement en semaine lorsque la température n’est pas clémente. Rarement plus de trois utilisateurs se retrouvaient en même temps dans un même bus. Les retards à l’horaire, eux, s’élevaient souvent à une vingtaine de minutes, parfois jusqu’à 25 minutes lors de notre passage. Ce sont les annulations ou le fait de « tricher » en ramassant quelqu’un à l’avance qui aidaient à les faire diminuer. Notons que pendant notre visite, aucun incident de violence, verbale ou physique, n’a été noté et tout le monde s’est montré cordial et compréhensif malgré les retards à l’horaire. « On a généralement de bons clients. Ils sont compréhensifs et savent que la situation ne relève pas des chauffeurs », mentionne notre chauffeuse.

Il a tout de même été possible de constater plusieurs situations problématiques pendant ce trajet : des utilisateurs qui attendaient sur un coin de rue alors que le bus passait de l’autre côté, les forçant donc à traverser la rue à la hâte; des virages illégaux planifiés par le GPS de l’application, forçant le chauffeur à tourner à un autre endroit qui allonge automatiquement son trajet déjà trop serré; un trajet demandant d’aller porter un client qui n’est jamais monté dans le bus; ou encore le bus qui, selon son trajet, passe devant un client à son arrêt pour aller en porter un autre avant et ensuite revenir une vingtaine de minutes plus tard pour le chercher et l’apporter au même endroit ou presque. « Je ne serais pas supposée de prendre les gens plus tôt que ce que l’algorithme me dit, mais sinon, ils attendraient trop longtemps et finiraient par annuler de toute façon », considère la chauffeuse. Et malgré sa manœuvre pour rattraper le temps perdu, le trajet l’a forcée au moins une fois à retourner à l’arrêt initial, même s’il n’y avait personne qui y attendait. « Pas très écoénergétique comme façon de faire », blague-t-elle.

À un certain moment, le bus passait tout juste devant un arrêt à Belœil où souhaitait être déposée une utilisatrice, mais il devait en théorie poursuivre son chemin et plutôt se diriger jusqu’à McMasterville avant de revenir à l’endroit en question. Faisant fi des directives de l’application, la cliente a ainsi pu débarquer une vingtaine de minutes plus tôt que ce que l’algorithme avait prévu.

Vaut mieux en rire

Lors de notre passage, plusieurs utilisateurs habitués d’exo à la demande sont montés à bord du bus, mentionnant de façon cordiale leurs péripéties ou celles de leurs proches avec l’application Link ou les problèmes rencontrés avec leur réservation. « Des problèmes avec l’application? Impossible, ça n’arrive jamais! », ont d’ailleurs blagué certains d’entre eux, en complicité avec la chauffeuse. Certains ont aussi affirmé avoir subi des annulations qui les ont forcé à faire appel à un taxi pour se rendre au travail ou encore arriver à l’heure à un rendez-vous médical.

Et, pendant les 4 h 30 que le journaliste a passées à bord du bus d’exo à la demande, jamais la chauffeuse n’a eu plus de quelques minutes pour souffler avant d’aller chercher son prochain passager, arrivant à peine à s’arrêter pour aller aux toilettes au Mail Montenach avant de repartir aussitôt sur la route.

Vers une troisième année?

Le projet exo à la demande a été implanté comme projet pilote à Belœil et McMasterville en mai 2021. Ce qui était initialement un projet d’une année a été prolongé à deux ans, soit jusqu’au 31 mai 2023. On devrait savoir prochainement si le projet sera reconduit pour une troisième année.

Exo assure que l’avenir d’exo à la demande ne repose pas entre ses mains, mais il semble croire que le service a sa place et sa raison d’être. Pendant la séance publique tenue le 28 mars dernier, Marie-Hélène Cloutier, directrice exécutive – Engagement clients, partenaires et innovation en mobilité chez exo, a mentionné les demandes pour obtenir du financement afin d’implanter de façon pérenne le transport à la demande (TAD) faisait partie des priorités d’exo de 2023. Actuellement, à part Belœil/McMasterville, seule Terrebonne, sur la Couronne Nord, bénéficie d’un service de TAD.

Les statistiques partagées par l’organisme sont aussi assez positives : selon des sondages, 79 % des utilisateurs du secteur Belœil/ McMasterville se disent « très et assez satisfaits » du service, et ce, malgré les problèmes récurrents (voir autre texte). Mme Cloutier souligne également que 43 % des utilisateurs d’exo à la demande à Belœil sont des « nouveaux clients , qui n’utilisaient pas le bus auparavant. L’implantation de la gratuité à Belœil/ McMasterville a aussi certainement contribué à attirer de nouveaux usagers, qui atteint maintenant 3500 déplacements par mois. « Les statistiques sont très positives pour nous et ce n’est pas que la gratuité qui est derrière le succès d’exo à la demande », soutient le porte-parole d’exo Jean-Maxime St-Hilaire.

Selon M. St-Hilaire, malgré ce succès, ce sont l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) et les municipalités concernées qui auront le dernier mot quant à l’avenir du projet qui doit théoriquement tirer à sa fin dans moins de deux mois. À ce sujet, Belœil n’a pas encore confirmé son désir de voir exo à la demande être prolongé pour une troisième année. La porte-parole Maghali Provencher rappelle que ce service est « particulièrement populaire » sur le territoire desservi et soutient que, malgré les « problématiques mineures » qu’a connues l’application Link, le projet pilote répond assez bien aux besoins des utilisateurs et demeure en processus d’amélioration continue du service. « Pour ce qui est de la question à savoir si le projet est reconduit, c’est à l’étude actuellement, de concert avec McMasterville et exo », indique-t-elle.

Notons que l’année dernière, la prolongation du projet pilote n’avait été annoncée qu’en mai, quelques semaines à peine avant sa date d’échéance.

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