1 décembre 2021 - 12:55
Artiste de Belœil derrière l’ œuvre de la Halte des Vapeurs
Julie Robert, artiste monumentale
Par: Olivier Dénommée
L’artiste Julie Robert est résidente de Belœil depuis 2016. Elle pose dans son atelier devant une maquette de Point Pivot, l’œuvre qu’on retrouve à la Halte des Vapeurs. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

L’artiste Julie Robert est résidente de Belœil depuis 2016. Elle pose dans son atelier devant une maquette de Point Pivot, l’œuvre qu’on retrouve à la Halte des Vapeurs. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Inaugurée cet été, la Halte des Vapeurs, située sur la rue Richelieu à proximité du pont des trains à Belœil, met de l’avant une sculpture commémorant la terrible tragédie ferroviaire survenue à cet endroit en 1864, où 99 personnes avaient perdu la vie. La création Point Pivot a aussi permis de découvrir le nom de la Belœilloise Julie Robert, qui a imaginé cette œuvre en acier Corten et en béton.

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Si le nom de Julie Robert n’est pas encore familier, c’est normal : Point Pivot est la première œuvre d’art public qu’elle signe après avoir quitté le domaine du cinéma dans lequel elle a travaillé pendant plus d’une vingtaine d’années. « Je me demandais depuis longtemps quand j’arriverais à faire ce que je veux vraiment, puis tout s’est placé d’un coup, vers 2016. J’ai quitté Montréal pour emménager avec mon conjoint dans une maison à Belœil que nous avons dessinée et construite et j’ai été acceptée en beaux-arts à l’Université Concordia », raconte l’artiste.

Si la démarche artistique de Julie Robert est encore en développement, elle reconnaît déjà avoir un intérêt marqué pour « les liens entre les gens » et ceux « entre les événements marquants et les gens », de même que le concept de « maison » au sens large. « Je travaille presque exclusivement avec des matériaux de construction, j’essaie de lier l’architecture et les connexions humaines à travers mes créations. » Elle avoue avoir un faible pour les formes géométriques plus minimalistes. « Pour moi, les matériaux parlent beaucoup. »

Point Pivot
C’est particulièrement vrai dans le cas de Point Pivot. « Je voulais une première sculpture d’art public et, pour tellement de raisons, ce parc-là m’appelait. Je savais que je devais travailler avec de l’acier Corten et la forme de l’œuvre, semblable à un tipi, représente en quelque sorte les derniers moments des victimes du drame. Avant d’apprendre que j’étais retenue comme semi-finaliste, je ne savais pas comment ça serait accueilli. Il n’y a rien de touchant dans l’acier rouillé et le béton, aucune douceur dans ces matériaux! C’est dur, froid et sévère, mais ça a été une belle surprise de voir que je pouvais toucher les gens, même avec du rough, du brut », commente l’artiste.

Les membres du jury n’ont pas tari d’éloges pour l’œuvre proposée par Julie Robert, parlant d’un « projet empreint de poésie, de beauté et de signification » et d’une « démarche artistique aboutie » pour expliquer sa décision de retenir Point Pivot pour commémorer la tragédie ferroviaire.

« Cette première sculpture d’art public, c’est la tape dans le dos que ça me prenait pour me confirmer que je suis à la bonne place et que ce n’était pas juste dans ma tête! C’est un milestone vraiment important pour moi, je ne pouvais pas rêver d’un projet aussi significatif que celui-ci pour commencer! », soutient Julie Robert.

Elle se dit aussi infiniment reconnaissante envers tous ceux « qui ont participé de près ou de loin à la réalisation de ce projet ». « J’ai apprécié l’ouverture de la Ville de Belœil par rapport à mon dossier. Ça a été un beau déclencheur pour moi. Je suis touchée de sentir que ma Ville reconnaît mon talent. Je remercie aussi l’Atelier du Bronze qui m’a aidée à produire 100 % ce que je voulais faire comme œuvre en ajustant sa
soumission. Dans Point Pivot, on voit 11 plaques d’acier, mais en réalité, il s’agit de 22 plaques collées. C’était important pour moi que les noms des familles ne soient visibles que de l’intérieur. »

Ambition monumentale
Julie Robert ne manque pas de fierté de savoir qu’une de ses créations est bien visible le long de la rue Richelieu, mais assure que ça ne sera certainement pas sa dernière œuvre d’art public. « La sculpture monumentale, je sens que c’est ça que je vais continuer de faire. La taille, les matériaux et le fait que ça soit accessible à tous, c’est très important pour moi. J’ai l’intention de compléter mon baccalauréat et de poursuivre à la maîtrise et mon but ultime serait d’être acceptée au Bureau d’art public de Montréal. »

Au moment de l’entrevue, l’artiste exprimait le désir d’explorer des thèmes plus « confrontants » dans ses futures œuvres. « Je réfléchis notamment à l’individualisation exacerbée ces temps-ci et le manque d’empathie sur la route. J’aimerais peut-être collaborer avec le ministère des Transports sur ce sujet. » Le vaste thème de la « maison » pourrait également rester à l’avant-plan dans la démarche artistique de la Belœilloise.

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Point Pivot se trouve à la Halte des Vapeurs. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Sous la rouille du temps

Le texte de Véronique Désilets, lauréate du concours d’écriture de la Halte des Vapeurs, a été choisi par un jury pour accompagner l’œuvre Point Pivot. Voici le texte intégral qui rappelle l’accident qui a coûté la vie à 99 passagers le 29 juin 1864 :

Sous la rouille du temps

Je rêvais de blés engrangés, d’enfants à chérir… Je suis déjà riche de l’engagement d’un compagnon pour la vie. Pour cette appétence et cet amour, je suis prête à tout traverser.

Aucune tempête ne peut faire échouer ma détermination. Je suis devenue ce navire aux voilures entêtées, mû par les vents, bercé par la promesse d’une terre. De longs jours, l’horizon est si plane, que je crois que cette aspiration n’est qu’une vaine chimère.

Lentement, j’atteins mon port pour enfin mettre pied à terre. Je reprends la route vers ma destinée. Le chef de gare crie dans une langue inconnue. Je rassemble mes bagages et mon courage et je monte dans le wagon. Il n’y a ni houle ni air du large. Je suis une rêveuse parmi d’autres, tous entassés dans un wagon de bestiaux sans fenêtres.

Je somnole, je ne sais plus s’il fait jour ou nuit. Je sais seulement que les portes s’ouvriront sur mon rêve avec mon amour. Et mon rêve se superpose au réel, le réel se superpose au rêve. Je sens la fatigue à l’odeur des voyageurs autour de moi. Je sens les plongées de la locomotive dans un paysage que je ne connais ni ne vois. Dans cette plongée, je veux garder vivant mon idéal. Ne pas me laisser pénétrer par les odeurs, les sons, la chaleur…

J’y arrive presque lorsque…

En plein rêve, je sombre.

J’ai vaincu la houle de l’océan, mais je ne traverserai pas cette rivière. J’y plonge et je m’y noie. Je ne me transporte plus. Ce sont d’autres qui renvoient mon corps à la terre. Mais mon âme erre entre Terre et rêve.

Jusqu’à ce qu’un passant la retrouve ici, gravée sous la rouille de Point Pivot. Depuis, elle est dans votre mémoire.

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