18 juin 2024 - 05:00
Projet de restaurant dans le Vieux-Belœil
La démolition de la maison du Bedeau recommandée
Par: Olivier Dénommée
Le 1005, rue Richelieu, alias la maison du Bedeau, a manqué de beaucoup d’amour dans les dernières années. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Le 1005, rue Richelieu, alias la maison du Bedeau, a manqué de beaucoup d’amour dans les dernières années. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Le 1005, rue Richelieu dans le Vieux-Belœil, aussi surnommé « maison du Bedeau », pourrait bien être démoli dans les prochains mois. Ses propriétaires ont proposé à la Ville de Belœil un projet de reconstruction à l’identique accompagné d’un agrandissement en retrait pour permettre d’y installer un nouveau restaurant. À l’issue d’une séance publique du comité de préservation du patrimoine bâti (CPPB), une recommandation favorable à sa démolition complète a été formulée à l’arraché.
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Ce sont les huit copropriétaires derrière le restaurant Janick, le bâtiment voisin, qui ont acquis la maison du Bedeau en octobre dernier, mettant fin à 15 ans de tentatives infructueuses de vendre la maison par l’ancienne propriétaire. Comme leur intention est d’ouvrir un commerce à l’intérieur, des travaux majeurs s’imposent à la fois pour rendre le bâtiment sécuritaire et aux normes. Vu l’ampleur de la dégradation du bâtiment, ils considèrent que la démolition complète est la seule solution viable, mais s’engagent en contrepartie à reconstruire à l’identique la partie avant de la maison et avec les mêmes matériaux et de sauver le plus d’éléments possible du bâtiment. Une extension de la maison est aussi planifiée sur le côté gauche, mais elle serait légèrement en retrait pour que la partie « ancienne » demeure bien en valeur.

Un carnet de santé du bâtiment, réalisé dans les derniers mois à la demande de la Ville, mentionne que le corps du bâtiment apparaît « généralement en bonne condition », bien que des travaux importants soient à prévoir, notamment sur les fondations et le revêtement extérieur. Des travaux seraient aussi nécessaires sur la cuisine et la salle de bains pour rendre la maison « habitable », mais la véranda couverte et le garage à l’arrière devraient être démolis vu leur état.

Un des propriétaires, William Dupont, a fait visiter la maison au journaliste pour constater l’étendue du défi. Les fondations, pleines de fissures, doivent être complètement refaites, le sous-sol doit être excavé et le revêtement extérieur doit être changé presque à 100 %, sans parler de l’isolation, de l’électricité et de la plomberie pour atteindre les normes d’aujourd’hui. « Avec ce qu’on veut faire, l’intérieur serait vidé au complet, il ne resterait que la carcasse, et on ne sait pas dans quel état elle sera quand on va ouvrir les murs. […] Si on doit tout changer, qu’est-ce qui va rester de la maison d’origine? » demande-t-il, considérant qu’il serait plus bénéfique de protéger le symbole et l’architecture unique de la maison du Bedeau en la reconstruisant à l’identique, gardant les quelques éléments encore en assez bon état comme des portes, des boiseries et des éléments décoratifs.

Plusieurs opposants

Les propriétaires ont présenté dès l’automne 2023 un projet au CPPB pour la démolition complète de la maison, et le comité a rendu au début mai un premier avis favorable, tout en attendant d’obtenir l’avis du conseil local du patrimoine (CLP) avant de prendre une décision finale. Or, le 29 mai, le CLP a rendu une recommandation majoritaire de refuser la demande de démolition complète, mais acceptant une démolition partielle de l’arrière du bâtiment. Une vingtaine d’opposants se sont aussi manifestés depuis décembre, principalement des citoyens, mais aussi quelques organismes dédiés à l’histoire et à la conservation du patrimoine, à la fois à travers des lettres et à la séance publique du 10 juin, où la décision devait être prise.

Notamment, la Société d’histoire et de généalogie de Belœil–Mont-Saint-Hilaire (SHGBMSH) a fait connaître son opposition ferme à la démolition de cette maison au style « vernaculaire états-unien » construite vers 1890, qui possède, selon son spécialiste du patrimoine bâti Pierre Gadbois, une valeur historique indéniable qu’il ne faut pas perdre au Vieux-Belœil. La maison du Bedeau, qui a abrité tous les sacristains de la paroisse Saint-Matthieu pendant 140 ans, fait ainsi partie du lot institutionnel de la paroisse, au même titre que l’église, le presbytère et le cimetière. M. Gadbois rappelle aussi à la Ville le dossier du restaurant Ostéria, qui devait être démoli pour être reconstruit presque à l’identique, mais qui a perdu tout son intérêt patrimonial.

La Fédération Histoire Québec va dans le même sens avec une lettre rappelant que « le patrimoine bâti est une ressource non renouvelable et la reconstruction à l’identique ne représente pas une solution », invitant plutôt à favoriser la restauration du bâtiment. En fait, tous les opposants ont martelé le fait que de faire une copie n’équivaut pas à protéger l’original, d’autant plus que la maison perdrait son statut patrimonial et plusieurs des protections qui lui sont associées, même si elle n’a pas été citée par la Ville de Belœil.

Présents à la consultation, les propriétaires de la maison du Bedeau ont défendu leur projet, rappelant que c’est au bénéfice des gens du Vieux-Belœil qu’ils veulent préserver l’architecture de cette maison emblématique et la rendre accessible au plus grand nombre. Ils soulignent d’ailleurs que, pendant des années, personne n’a voulu l’acheter pour la rénover afin d’y vivre pendant que la maison se dégradait, mais que leur projet de restaurant lui donnera un nouveau souffle.

Vote déchirant

À l’issue de la consultation, le comité de préservation du patrimoine bâti a dû se prononcer sur la demande de démolition. Quatre élus de Belœil en font partie, soit la mairesse Nadine Viau et les conseillers Vincent Chabot (président du comité), Martin Dubreuil et Louise Allie. Mme Allie a été la plus catégorique, affirmant qu’il n’y a presque rien à garder du bâtiment et qu’il vaudrait mieux accepter sa démolition, d’autant plus que la proposition de reconstruction à l’identique est un compromis acceptable dans les circonstances. Les trois autres se sont dits « déchirés » avant de préciser leur position. Mme Viau a rappelé son souhait en arrivant à la tête de Belœil de protéger les bâtiments patrimoniaux et bien qu’elle soit enthousiaste à l’idée d’un projet de restaurant dans la maison du Bedeau, elle a voté contre la démolition de la bâtisse parce que le carnet de santé lui permet de croire qu’il est possible de faire quelque chose sans perdre ce bâtiment patrimonial. Martin Dubreuil a voté dans le même sens, notant « une intention très noble, et un projet dont Belœil a besoin », mais une démolition qui n’est pas nécessaire selon les rapports.

Enfin, Vincent Chabot a reconnu autant aimer « l’authenticité de la maison », mais aussi le projet proposé. Il déplore l’état de la maison, qui s’est dégradé pendant des années sans que qui que ce soit, pas même la Ville, intervienne, et il a voté en faveur de la démolition. Comme le vote a été à égalité, le président a utilisé son pouvoir de vote prépondérant, donnant une courte majorité en faveur de la démolition. Il a toutefois demandé aux propriétaires de faire preuve de bonne foi en prenant le temps de déconstruire minutieusement la maison afin de trouver chaque morceau qui pourra être sauvé et d’envoyer ce qui pourrait être revalorisé à une entreprise comme RÉCO, spécialisée dans la récupération et la revente de matériaux de construction.

Les opposants à la démolition complète ont 30 jours après la décision du 10 juin pour faire appel, ce qui amènerait ensuite le dossier en séance du conseil municipal. Les propriétaires s’attendent à un appel. S’ils se disaient optimistes de pouvoir ouvrir leur restaurant dès l’été 2025, les délais qui s’étirent les amènent à penser à une ouverture en 2026.

Malgré le long processus auquel ils font face, ils reconnaissent que la rencontre du 10 juin leur a apporté de bonnes idées pour bonifier leur projet. « C’est une bonne idée de conserver des morceaux de la maison pour ensuite les incorporer dans le design de la nouvelle. On a senti que c’est important pour des personnes et ça les motivera peut-être encore plus à venir voir ce qu’on va faire avec ça », commente William Dupont. Son collègue Marc-Olivier Garand affirme pour sa part avoir compris que les gens inquiets de leur projet veulent « sentir le vrai » et ont peur de perdre ce joyau du Vieux-Belœil. « On n’aurait jamais voulu acheter cette maison si on n’avait pas vu à quel point il y a un attrait et une fierté pour le patrimoine dans le Vieux-Belœil. C’est vraiment notre intention de protéger ce patrimoine à travers ce projet. »

Les grandes lignes du projet
En entrevue avec L’ŒIL, le copropriétaire William Dupont a donné une idée de ce que ses partenaires et lui ont en tête pour l’avenir de la maison du Bedeau. Après la démolition du bâtiment actuel, la partie avant sera reconstruite à l’identique à l’aide d’une modélisation 3D avec la technologie de nuage de points, ce qui permettra une reconstruction « au millimètre près », assure-t-il, ce qui va protéger « le symbole, l’architecture et la matérialité » de la maison. Un peu en retrait, l’agrandissement prévu permettrait de mettre en valeur la vue sur la rivière Richelieu et le mont Saint-Hilaire avec à la fois une terrasse intérieure et une extérieure. Le plan inclut aussi un lien avec la promenade voisine.

William Dupont précise aussi que, bien que la maison soit voisine au restaurant Janick, dont ses partenaires et lui sont aussi propriétaires, le but est vraiment d’avoir un restaurant à part, avec sa propre identité. Le nom n’a pas encore été choisi, et il ne semble pas complètement exclu de faire une référence au nom populaire de la maison, bien que les propriétaires n’y aient pas songé avant que les membres du comité leur posent la question.

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