Avant même de s’installer pour l’entrevue, la directrice de l’organisme Entraide pour hommes Vallée-du-Richelieu, Geneviève Landry, souligne que d’autres corps de police sont intéressés par cette initiative collaborative entre son organisme communautaire et la Régie intermunicipale de police Richelieu–Saint-Laurent (RIPRSL). Mme Landry jubile tellement elle croit que cette initiative est un point tournant en matière de violence conjugale. « Je suis convaincue. Ce n’est pas encore documenté, mais j’ai la prétention de dire qu’on va réduire le nombre de cas de violence conjugale et le nombre de féminicides. »
L’année dernière seulement, la RIPRSL est intervenue dans environ 670 cas de violence conjugale, « soit environ deux par jour », décrit le capitaine Francis Lepage, affecté au département sociocommunautaire de la Régie. D’où l’idée de s’associer avec Entraide pour hommes et d’offrir un bureau à une intervenante de l’organisme entre les murs du poste de police de la rue Hertel, à Belœil.
L’homme est la « pierre angulaire » de la violence, et personne ne s’occupe de lui. « Comment faire pour éviter des portes tournantes, des récidives, des gestes fatidiques? La procédure n’était pas efficace. Il faut donc évoluer et s’adapter », reconnaît M. Lepage.
Le problème à la base
En épluchant les rapports de coroner dans les cas de féminicides, ce qui est « frappant », estime Geneviève Landry, c’est que l’homme était souvent connu des policiers. « Une intervention policière avait été faite et l’homme était retourné chez lui, mais sans filet. Ce gars, qui est à la source du problème, malgré une opération policière bien faite, est laissé à lui-même. Une arrestation policière, c’est un choc post-traumatique, même si tu as commis un geste criminel. Si on n’intervient pas auprès [de l’homme violent], le stress post-traumatique prend une ampleur considérable : anxiété, source de stress. Tous des facteurs de récidive en matière de violence conjugale. »
Avant le projet pilote, lors d’une intervention policière, les policiers procédaient à une arrestation et offraient systématiquement des services à la victime, comme de contacter un centre d’hébergement ou un Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC). Mais l’homme était souvent relâché, parfois après être passé devant un juge, et souvent en ayant gardé le silence sous le conseil de son avocat. Lors de l’arrestation, M. Lepage précise qu’un dépliant de l’Entraide pour hommes était remis à l’homme. « Mais le document était remis souvent dans un moment de colère, par un policier qui venait de l’arrêter. Le taux de réussite était quasi nul », souligne le capitaine.
Maintenant, le policier continue de rédiger un rapport d’événement avec le code VC (violence conjugale). Le dossier est ensuite mis dans une base de donnée accessible par un enquêteur spécialisé dans les violences conjugales et intrafamiliales, mais aussi par la CAVAC, par une intervenante psychosociale (dans les cas de santé mentale) et, finalement, par Audrey Lincourt, la nouvelle intervenante en matière de violence conjugale. Si des risques de récidives sont soulevés par les intervenants, une cellule de crise intervient. Mais, sinon, Mme Lincourt contacte simplement chaque homme impliqué dans un événement de violence conjugale.
« Alors que l’homme a décanté, Audrey prend contact avec lui. Et elle n’est pas policière, donc la conversation est confidentielle », insiste le capitaine Lepage. L’intervention de Mme Lincourt peut se limiter à un simple appel téléphonique, à une marche dans la rue pour calmer le jeu, ou à une référence des services d’entraide. Ça sert aussi à évaluer les démarches que l’homme est prêt à entreprendre. « Ça peut être aussi pour l’homme le moment de donner sa version des faits, sans excuser ses gestes », ajoute l’intervenante.
Résultats
Après quelques semaines d’intervention, Audrey Lincourt est la première surprise de la réceptivité des gars. « Environ la moitié accepte de me parler, et dans ceux qui refusent, c’est souvent parce qu’ils ont déjà entamé un processus de leur côté, comme de voir un psychologue. J’ai aussi reçu des textos de gars qui m’ont dit qu’ils n’allaient pas bien. Certains m’ont dit que c’était la première fois qu’on leur demandait comment ils allaient. Ils sont souvent émotifs, même s’ils ont fait des choses inacceptables. »
L’intervenante souligne aussi qu’elle peut venir en aide à un homme qui était pris dans une dynamique de violence et qui a aussi été victime de violence.
Pour les prochains mois, Geneviève Landry compte chiffrer l’impact du projet pilote pour l’exporter et obtenir du financement. Pour le moment, le financement provient de fondations privées, puisque l’intervenante est employée par l’OBNL qu’est Entraide pour hommes.
Et pour le capitaine Francis Lepage, une intervenante dans les bureaux, ce n’est que le début : « Si je pouvais agrandir par en dedans, j’en aurais trois, dit-il. On veut couvrir un angle de 360 degrés en matière de violence conjugale. On ne veut plus en échapper, on veut s’assurer que tous les services sont adéquats. »
Si vous êtes victime de violence conjugale : SOS Violence conjugale au 1 (800) 363-9010 pour une assistance immédiate. Le service est gratuit, anonyme et disponible 24 heures sur 24.
Entraide pour hommes : région du Grand Longueuil et Belœil au 450 651-4447.