18 mai 2022 - 07:00
Le bon timing
Par: Vincent Guilbault
J’ai mis la main cette semaine sur le livre Faire ses recherches : Cartographie de la pensée conspi, l’essai du journaliste de La Presse Tristan Péloquin (publié chez Québec Amérique).
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J’ai presque failli ne pas ouvrir ce livre paru en 2022. Le masque vient de sauter et les gourous anti-mesures sanitaires et autres opposants à la « tyrannie » se font plus discrets dans l’espace public. La lassitude du sujet qui m’intéresse habituellement beaucoup m’avait rattrapé.

Puis, il y a eu Buffalo…

Une tuerie comme on en voit trop souvent aux États-Unis. Dix personnes, majoritairement afro-américaines, tuées à l’arme à feu par un jeune homme de 18 ans à peine, adepte de la théorie du « grand remplacement ».

En quelques lignes, la théorie du grand remplacement stipule que les populations occidentales majoritairement blanches sont subtilement remplacées par des gens de couleur ou des immigrants souvent d’origine maghrébine dans le but d’enlever de l’influence politique aux Blancs ou encore permettre à une élite de s’enrichir en contrôlant le vote. C’est une théorie complotiste farfelue et dangereuse basée sur une mauvaise lecture de la démographie et qui, malheureusement, commence à s’imposer dans certains cercles de la politique conservatrice, surtout chez nos voisins du Sud, mais un peu ici aussi.

J’ai donc plongé lundi soir dans le livre de Tristan Péloquin à la lumière du drame, même si le sujet de l’auteur n’est pas celui du grand remplacement. Mais Tristan Péloquin, comme bien des observateurs de la complosphère, en glisse quand même un mot dans son ouvrage et nous rappelle que les leaders complotistes québécois en matière de mesures sanitaires découlent d’abord du mouvement anti-immigration. Les liens entre les complotistes et les groupes identitaires à la Storm Alliance ou La Meute ne sont plus à prouver.

Et si je pensais que le livre arrivait un peu trop tard sur le marché, je me trompais royalement. Son timing est parfait. Parce que même si le masque vient de disparaître, la bouffée d’air frais qui nous rentre maintenant directement par le nez n’a pas réussi du même coup à balayer la vague conspirationniste.

En intro du livre, l’essayiste rappelle toute la violence dont il a été victime : menaces, agressions verbales, harcèlement, doxxing (acte de publier en ligne les infos personnelles d’un individu). Il rappelle aussi l’histoire du Pizzagate, où un homme a pris d’assaut une pizzeria aux États-Unis, avec ses armes, pour « libérer des enfants prisonniers dans le sous-sol ». Il n’y avait bien sûr aucun enfant, mais la violence de l’homme, elle, était bien réelle.

Et la tuerie de Buffalo montre bien ça. Toutes ces théories ridicules sont d’abord et avant tout dangereuses. Pernicieuses, elles s’infiltrent dans la pensée de gens dérangés qui finissent par transposer cette fiction dans le réel avec des armes. Et n’avons-nous pas nous aussi au Québec un problème d’armes à feu grandissant? Ou des individus racistes qui prennent les armes dans un lieu de culte, genre une mosquée, dans un coin aussi tranquille que la Capitale nationale?

Puis tout finit par se mélanger. Religion, immigration, santé publique, politique identitaire, pseudoscience. Le tout, amplifié par les chambres d’écho sur internet. Tout finit par tout se mélanger. Et ça forme des gens mélangés, qui pensent que les « autres » veulent s’en prendre à « nos » privilèges.

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