1 juillet 2020 - 14:04
Le deuil d’une robe
Par: Vincent Guilbault
Vincent Guilbault

Vincent Guilbault

J’ouvre avec deux commentaires rédigés sous notre article publié sur le web le 27 mai dernier concernant l’annulation des bals de finissants.

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« Je pense aux 4000 personnes décédées de la COVID. Leurs proches sont en deuil, mais ce n’est rien, bien sûr, à côté du deuil d’une belle robe… »
« Il y a quand même des affaires pires dans la vie que de ne pas avoir de bal. »
Outre le manque d’empathie flagrant, je note encore une fois ici une gradation du malheur. Il ne faut pourtant jamais comparer le malheur des uns avec celui des autres. Nous trouverons toujours plus malheureux que soi. Sinon, comment se plaindre d’avoir perdu un emploi si une personne en Syrie a perdu sa famille à cause d’une bombe? Non, au jeu des comparaisons du malheur, personne n’est gagnant.
La fin des classes est tout aussi importante que le reste dans cette vie chamboulée par le virus. La remise des diplômes, l’album de finissant, le dernier au revoir aux amis; le dernier au revoir aux enseignants. La soirée du bal et le party de l’après-bal. Des souvenirs gâchés par ce virus invisible.
Lorsque la COVID a signé la fin des classes en début de pandémie, les finissants ont rapidement réalisé que la collation des grades serait annulée. Et à lire les témoignages récoltés par ma collègue, malgré tous les efforts déployés par l’entourage des finissants, la fin des classes cette année avait un goût doux-amer. Ce n’est, en fin de compte, juste pas la même chose.
La fin du secondaire est un rituel qui, comme tous les autres rituels, sert d’abord à marquer le passage du temps. Nous avons de moins en moins de rituels, surtout avec l’érosion de la religion au Québec. Il serait donc important de garder ceux que nous avons. Et la collation des grades (et le party qui s’en suis aussi) est une étape importante du parcours scolaire. Plus, il marque, d’une certaine façon, le passage vers la vie d’adulte.
J’écris ces mots, et un millier de souvenirs refont surface. Un truc de filles avec les robes et tout le tralala, qu’on se disait. Mais, dans le fond, un truc de gars aussi, même si on faisait semblant que ce n’était pas important. Mais c’était assez important pour louer un costume et trouver une boutonnière pour sa compagne; ce n’est pas rien à 17 ans.
Lorsqu’on parle de bal, je revois ma compagne avec sa jolie robe. Je revois mon premier voyage dans une limousine, mon party dans un champ situé au fin fond de Sainte-Anne-de-Sorel, la bière au goût de pisse que j’avalais juste pour faire partie de la gang, le lendemain de mon après-bal, où je dormais debout dans l’entrepôt de mon travail après quelques heures de sommeil. Ou encore l’album de finissant rempli de signatures d’amis et de copains de l’époque; un des seuls livres qui a survécu à tous mes déménagements.
Lorsqu’on parlera du bal aux finissants de 2019-2020, ils se souviendront d’abord du virus.
Non, ce n’est pas la mort. Mais ce n’est pas la vie non plus. Et ce n’est surtout pas juste le deuil d’une belle robe. Ces finissants ne méritent pas ce mépris.

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