21 février 2024 - 07:00
Protection contre les inondations
Le professeur Philippe Gachon inquiet de la destruction de milieux humides
Par: Vincent Guilbault
Professeur au département de géographie à l’UQAM, Philippe Gachon craint que la disparition de milieux humides aggrave l’importance des inondations. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Professeur au département de géographie à l’UQAM, Philippe Gachon craint que la disparition de milieux humides aggrave l’importance des inondations. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Professeur au département de géographie à l’UQAM, Philippe Gachon est catégorique : la destruction de milieux humides sur le terrain de Northvolt met la région à risque de plus graves inondations. Les inondations du printemps 2011 dans la Vallée-du-Richelieu auraient dû servir de leçon concernant la destruction de milieux humides.

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« J’ai des craintes en raison de la rapidité [avec laquelle] on prend des décisions environnementales alors qu’on est en déficit de zones à préserver et que nous avons les changements climatiques qui agissent comme épée de Damoclès. On devrait être encore plus prudent. Même si on souhaite développer une technologie ou nous doter d’infrastructures pour réduire nos émissions [de carbone], ce n’est pas une raison pour bypasser les règles », exprime le résident d’Otterburn Park en entrevue avec L’Œil Régional. Et comme plusieurs de ses concitoyens, il déplore que le projet d’usine n’ait pas été soumis à un BAPE.

Rappelons que Northvolt a entamé un camionnage intensif mercredi dernier sur le site de sa future usine, planifiant la destruction de plus de 60 000 m² de milieux humides. Cette opération affectera environ 45 % des milieux humides du site, considérés d’une haute valeur écologique selon Le Devoir.

Le professeur Gachon rappelle que la Montérégie a un déficit de zones préservées et que le terrain acquis par Northvolt est « unique » en raison de sa superficie, du nombre de milieux humides présents, mais aussi par la diversité écologique qu’il abrite. « C’est un endroit qui a une valeur écologique, une valeur écosystémique pour la préservation des espèces. Il y a aussi la présence d’une tourbière pour la captation de carbone. […] Ce corridor écologique est important pour une connectivité entre le mont Saint-Bruno et le mont Saint-Hilaire. » Dans la Vallée, on note beaucoup d’oiseaux migrateurs et ce terrain à une valeur de préservation pour les espèces, précise-t-il.

Inondations

C’est à titre de directeur du Réseau Inondations InterSectoriel du Québec (RIISQ) que le journal a sollicité l’avis de l’expert réputé, lui qui se souvient trop bien des inondations de 2011 dans la Vallée-du-Richelieu (voir autre texte). Le RIISQ est une plateforme d’échanges et d’intégration qui regroupe tous les intervenants gouvernementaux, des partenaires socio-économiques, ainsi que des équipes de recherche des domaines sociaux, scientifiques, technologiques, médicaux, économiques et politiques afin d’améliorer la capacité du Québec à se préparer aux inondations et à s’en protéger.

Durant le printemps 2011, les riverains situés le long du Richelieu et du lac Champlain ont été confrontés aux inondations les plus dévastatrices jamais observées dans la région. Plus de 1600 personnes ont été forcées de quitter leur résidence, en grande partie à cause de dangers pour leur santé. Les dégâts matériels ont été immenses, touchant habitations, exploitations agricoles et entreprises.

« Les milieux humides ont une importance pour amoindrir, en cas d’inondations, les pics de creux et stocker de l’eau. Ce sont des éponges. Devant une inondation, ils permettent de retenir l’eau et la relâcher [plus lentement] par exemple en été, mais aussi d’alimenter l’écologie », explique le chercheur.

« J’étais là quand le Richelieu a débordé. Le chemin Richelieu (route 223), qui borde ce terrain, a été sous l’eau, entre Carignan et McMaster. Une partie des zones qui sont en train d’être remblayées, dont un ruisseau qui gravite dans les zones humides, a en partie été inondée [à l’époque]. Cette zone a servi d’éponge. »

Selon lui, une mise à jour des cartes de zones inondables, attendue cette année, montrera sûrement qu’une partie du terrain de l’ancienne usine C.I.L. devrait être en zone inondable, donc inconstructible. « On pourrait découvrir qu’une partie de ces terrains sont à risque d’inondation moyen ou élevé. » Une information que le ministère de l’Environnement devrait savoir, pense-t-il.

Et avec les changements climatiques, il sera impossible selon lui de prévoir le comportement de la rivière. « Les risques d’inondation dans la Vallée vont augmenter. Le niveau de la rivière a augmenté ces derniers jours, cite-t-il en exemple. À la halte routière, à Otterburn Park, les arbres étaient sous l’eau en février. La rivière avec cette hauteur, on voit plutôt ça en avril. » Il sera aussi impossible de prévoir les moments et les endroits qui seront victimes d’inondations, car les changements climatiques « modifient le régime des rivières comme on ne l’a jamais vu. Le passé n’est plus garant de l’avenir ».

Et sans les milieux humides du terrain Northvolt, l’effet d’une inondation serait empiré, pense le chercheur. Il rappelle d’ailleurs que la Commission mixte internationale*, dans son rapport sur les événements de 2011, « encourage les gouvernements à continuer de protéger les milieux humides actuels, car ils contribuent à atténuer les inondations par un abaissement du niveau maximal des eaux de 15 cm dans le lac Champlain et de 12 cm dans la rivière Richelieu lors d’inondations […] » Notons toutefois que la Commission ne propose pas de faire de la création et de la restauration de milieu humide la principale stratégie de protection contre les inondations, mais reconnaît l’importance des milieux humides.

M. Gachon note aussi que la forêt et les milieux humides permettent de rafraîchir la température. La destruction de cet îlot de fraîcheur aura des impacts sur les habitations autour, pas juste sur le terrain, dit-il, surtout pendant les canicules.

*La Commission mixte internationale est un organisme indépendant et binational établi en vertu du Traité des eaux limitrophes de 1909. Elle a pour mandat d’aider à prévenir et à résoudre les conflits relatifs à l’utilisation et à la qualité des eaux limitrophes et de conseiller le Canada et les États-Unis sur les questions qui y sont reliées.

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