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C’est « une personne encore chamboulée » qui s’est présentée devant le journaliste de L’Œil Régional pour s’entretenir de la crise du verglas de 1998. Guy Dubé venait à peine de remporter les élections pour la mairie d’Otterburn Park lorsque le grand verglas s’est abattu sur le fameux triangle noir. Guy Dubé devait non seulement apprendre le fonctionnement de la mairie, mais il devait aussi gérer une crise à brûle-pourpoint.« J’étais maire depuis moins de deux mois, se souvient-il. Au début de la crise, la mairie se préparait pour des mesures à court terme. Puis, lors d’une réunion avec le premier ministre, les maires ont appris que cette situation ne se compterait pas en jours, mais en semaines. Je m’en suis rendu compte lorsque je suis sorti de la municipalité et que j’ai vu toutes les branches cassées et les pylônes électriques pliés en deux. La situation changeait d’un coup. Ce n’était plus une joke. Nous étions dedans. »
Et la pression sur les épaules du maire est énorme dans ce genre de situation. « Des gens comptent sur toi, a dit M. Dubé. Tu n’as pas le droit à l’échec. En cas de crise, le maire a plus de pouvoir. Par exemple, celui de dépenser. Ce n’est pas le temps de passer des résolutions. Les gens doivent avoir du chauffage, manger et avoir un endroit pour dormir. » Surtout, selon lui, que l’aide ne venait pas de l’État. Le ministère de « l’insécurité publique », comme le mentionne Guy Dubé, n’était pas prêt pour affronter ce genre de crise, même après avoir vécu les inondations du Saguenay. « Je ne crois pas que les fonctionnaires étaient de mauvaise foi, mais ils n’étaient pas prêts, a-t-il expliqué. Ils étaient inefficaces, ils nuisaient plus qu’ils aidaient. Après un moment, on leur a dit qu’on allait s’arranger. »
Épreuve positive
Mais la Municipalité a quand même reçu de l’aide de l’extérieur, que ce soit le bois des autres régions, une bonne collaboration avec Hydro-Québec et une cohésion particulière avec l’armée. Pour M. Dubé, qui a déjà étudié au collège militaire, une affinité immédiate s’est bâtie avec les militaires. « Ils ont été d’un grand secours », a dit Guy Dubé en parlant des soldats. « L’expérience militaire te permet de bien évaluer les choses, de garder le contrôle et de rassembler les gens », a fait savoir M. Dubé, dont les réflexes acquis durant son entraînement lui sont rapidement revenus pour gérer la crise. Il ressent aussi une immense fierté pour ses concitoyens. « Beaucoup d’employés de la Ville n’ont pas compté leurs heures et sont allés au-delà des attentes. Les membres de la Légion ont servi de la nourriture aux employés de la Ville durant la crise. Les gens partageaient le bois, s’entraidaient. Des gens plus désagréables pensaient être dans un hôtel lorsqu’on les a reçus dans un gymnase. » Il aura aussi fallu forcer quelques personnes en dehors de leur maison. Mais avec le recul, je me rends compte que la ville a connu un bel exemple de solidarité.
Pour le reste, Guy Dubé ressort de cette expérience grandi. Même s’il retire beaucoup de positif de ce moment traumatisant, M. Dubé souligne qu’il a encore la chair de poule lorsqu’il se remémore cette période. « Même encore aujourd’hui, j’ai de la difficulté à réaliser l’ampleur de cet événement. Dix ans après, j’ai encore peur lorsqu’il y a de la pluie verglaçante. Ce n’est pas rationnel, mais j’ai encore une crainte. On reste marqué. Mais je suis fier parce que je pense que notre équipe a fait de son mieux dans les circonstances. » D’ailleurs, si on ne doit retenir qu’une seule chose, c’est que cette crise a été gérée grâce au travail d’équipe. « J’ai rapidement appris à connaître les gens avec qui je travaillais, a soulevé M. Dubé. Une grande confiance régnait. Nous avions des réunions avec les employés de la Ville quotidiennement pour coordonner nos efforts et partager les tâches. Je n’ai que des remerciements pour eux. La gestion de la crise n’a pas été le travail d’un seul homme. »
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Encore chamboulé
Même 25 ans après les événements de janvier 1998, Guy Dubé se remémore les jours du verglas avec l’estomac noué. En entrevue, après la lecture du texte, il prend des pauses afin de reprendre son souffle et continuer le récit des événements.
Même si le premier ministre Lucien Bouchard avait informé les élus que la crise serait plus longue que prévu, c’est vraiment dans les rues de la ville qu’il a pris la pleine mesure des mots du chef d’État. « J’avais fait un tour d’hélicoptère et vu les pylônes à terre. Mais je me souviens surtout d’un instant. Je marchais sur la rue Gervais et j’ai vu les branches à terre; c’est là que j’ai réalisé le poids que j’avais sur les épaules. On avait reçu 100 millilitres de verglas! »
Encore aujourd’hui, Guy Dubé ne peut s’empêcher de repenser à l’entraide, à tous les employés municipaux, surtout, qui n’ont pas compté les heures pour garder la ville en vie. « Je me rappelle des gens, de cette solidarité. Du travail exceptionnel que ces gens ont fait. »
Ou des anecdotes! Cet homme décontenancé, à l’école Notre-Dame, dans un camp de fortune, qui chiale parce que la Ville ne lui fournissait pas de brosse à dents. « Ça montre que les gens étaient décontenancés. » Ou encore l’utilisation de la glace en provenance du curling de la Légion pour garder les aliments au frais. « On a réussi avec les moyens du bord. »
Guy est d’ailleurs fier d’être reconnu par ses concitoyens comme « le maire du verglas », dit-il avec émotion.
Son seul regret? « Le devoir de mémoire », dit-il. Peu ou pas d’employés de l’époque, sauf quelques cols bleus, travaillent encore pour la Ville. Il a d’ailleurs écrit aux élus pour leur suggérer de trouver une façon de souligner le coup. « Mais ce n’est plus entre mes mains. »
Et il espère, de tout cœur, que les administrations municipales ont tiré des conclusions de ces événements et qu’elles seront prêtes si ça devait recommencer. Mais ça, il en doute un peu.