15 septembre 2025 - 05:01
Absence du directeur général de Belœil depuis 16 mois
Les versions de Michaël Tremblay et de Nadine Viau aux antipodes
Par : Olivier Dénommée
La mairesse de Belœil, Nadine Viau, en compagnie du directeur général Michaël Tremblay avant qu’il ne tombe en arrêt de travail en 2024. Photo gracieuseté

La mairesse de Belœil, Nadine Viau, en compagnie du directeur général Michaël Tremblay avant qu’il ne tombe en arrêt de travail en 2024. Photo gracieuseté

Voilà 16 mois que Michaël Tremblay, directeur général de la Ville de Belœil, est parti subitement en arrêt de travail après avoir été en poste même pas quatre mois, et les raisons de son départ suscitent toujours des questionnements. Si, jusqu’à présent, la mairesse Nadine Viau a toujours défendu que le climat de travail à la Ville est sain et qu’elle entretenait de bonnes relations avec son DG, une mise en demeure envoyée à la Ville au nom de M. Tremblay le 19 août affirme le contraire.

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Le Journal de Montréal a été le premier à dévoiler publiquement l’existence de cette mise en demeure, et L’ŒIL a depuis été en mesure d’obtenir une copie du document. Dans cette mise en demeure de sept pages, M. Tremblay affirme être victime de congédiement déguisé.

Il s’est vite dit « déçu par le climat de travail à la Ville et par la relation professionnelle qui se détériorera rapidement avec la mairesse », l’accusant notamment de microgestion, d’ingérence et de surveillance constante. Selon la mise en demeure, c’est ce climat toxique qui l’a amené en arrêt de travail dès le 6 mai 2024.

« [Michaël Tremblay] en est venu à vivre un état d’hypervigilance constant, craignant d’être jugé ou discrédité à tout moment. L’absence de repères clairs, le double discours et la surveillance implicite de la mairesse ont entraîné une détérioration progressive de sa santé psychologique. Sous la pression cumulative de ces agissements, il a développé un trouble d’adaptation reconnu médicalement, accompagné d’une profonde détresse émotionnelle assimilable à une dépression », peut-on lire.

Toujours selon la mise en demeure, une rencontre a été tenue entre M. Tremblay et la mairesse Viau à l’hiver 2025, où le DG a lu une lettre exposant « les comportements inappropriés de la mairesse, qu’il considérait comme vexatoires, hostiles ou non désirés, et qui portaient atteinte à sa dignité et à son intégrité psychologique ». Malgré ses griefs à l’égard de Nadine Viau, Michaël Tremblay a poursuivi ses démarches en vue d’un retour progressif au travail, qui auraient toutefois été désapprouvées par la mairesse, selon la directrice des ressources humaines, Ève Martin, citée dans la mise en demeure. La mise en demeure fait aussi état d’un commentaire de Mme Martin qui demande à M. Tremblay pourquoi il souhaitait revenir travailler à Belœil et proposant même de rédiger une lettre de recommandation pour l’aider à se trouver un autre emploi ailleurs.

Notons que la version de Michaël Tremblay contredit à plusieurs reprises celles fournies par la mairesse Viau dans le cadre d’entrevues accordées à L’ŒIL ces derniers mois. Une citation de l’article « Un climat qui use », paru cet été, a même été utilisée dans la mise en demeure. « J’ai vécu 4 mois de bonheur avec [M. Tremblay]. Un employé qui travaille 4 mois et qui part pendant plus de 12 mois ensuite, c’est impossible que ce soit le travail qui soit l’enjeu. En tout cas, je n’ai eu aucune information du temps qu’il était là que ça n’allait pas », avait alors affirmé Mme Viau. Cette déclaration est critiquée par le représentant du DG. « […] La divulgation publique d’informations confidentielles, et a fortiori mensongères, par la mairesse, est tout à fait inacceptable. » Il est aussi mentionné que le changement à l’organigramme à la Ville a été fait « en l’absence de [M. Tremblay] », laissant entendre que ce dernier n’avait pas été consulté avant d’aller de l’avant malgré les prétentions de Nadine Viau à ce sujet lorsque la décision a été prise en mars dernier.

Enquêtes

À la mi-avril, la Ville a mandaté Hubert Côté, de la firme Relais Expert Enquête et Médiation, pour faire enquête sur les allégations et seul Michaël Tremblay a été rencontré pour interrogation dans le dossier. La firme a conclu que les allégations de M. Tremblay n’étaient pas recevables sous l’angle du harcèlement psychologique en milieu de travail. L’avocat de Michaël Tremblay, Me Martin Pelletier, met toutefois en doute la valeur de cette enquête, mandatée par la directrice des ressources humaines de la Ville et qui n’était qu’une enquête préliminaire. Il retient aussi que la conclusion ne parle que de l’angle du harcèlement psychologique. Même si l’employeur de M. Tremblay est le conseil municipal, celui-ci n’aurait par ailleurs jamais obtenu copie de l’enquête.

Parallèlement à cette enquête, Michaël Tremblay a déposé une plainte formelle en harcèlement psychologique auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui aurait été jugée recevable. Le dossier suit toujours son cours.

En arrêt de travail depuis le 6 mai 2024, le DG a cessé de recevoir des indemnités d’invalidité de son assureur le 14 juin dernier. La mise en demeure déplore qu’il soit ainsi actuellement suspendu sans traitement puisque ce serait la Ville qui refuse son retour au travail. Il est allégué que c’est Mme Viau elle-même qui bloquerait toujours son retour et que la situation serait en fait une forme de congédiement déguisé. Michaël Tremblay réclame donc à la Ville de Belœil un an de salaire, une somme correspondant à divers avantages sociaux et 35 000 $ en dommages moraux et punitifs. Me Pelletier se dit ouvert à une résolution à l’amiable, mais indique qu’il a appris le 10 septembre que la Ville refusait d’aller en médiation dans ce dossier.

« Des faussetés »

Invitée à commenter le contenu de la mise en demeure depuis qu’elle a été rendue publique dans un article, Nadine Viau a trouvé « dommage » que ce document confidentiel ait été coulé aux médias et dément les allégations qui s’y trouvent. Elle maintient la version qu’elle a depuis plus d’un an, soit celle d’attendre impatiemment le retour de Michaël Tremblay en poste, et réfute donc l’accusation de congédiement déguisé envers cet employé officiellement toujours à l’emploi.

Pour elle, l’enquête externe de Hubert Côté confirme qu’elle n’a rien à se reprocher dans ce dossier et maintient avoir passé « de magnifiques semaines » avec Michaël Tremblay comme directeur général.

L’élément le plus sensationnel de la mise en demeure est l’affirmation que Michaël Tremblay aurait été évalué de façon ésotérique par la mairesse, qui l’aurait tiré au tarot « à plusieurs reprises ». Cet élément en particulier a été vivement démenti par Nadine Viau. « Évidemment, je n’ai jamais utilisé le tarot pour prendre des décisions ou évaluer un employé. […] Je tiens à être très claire : ces affirmations sont fausses et ne représentent en rien ma façon de travailler ni ma vision du rôle de mairesse. »

Si elle a répété avec insistance le fait qu’elle n’a jamais utilisé le tarot pour prendre une décision ou évaluer un employé, elle a été incapable d’affirmer clairement en entrevue qu’elle n’avait jamais utilisé le tarot, même pour le plaisir, avec un employé. L’avocat de M. Tremblay considère lui-même que la réponse officielle de Belœil à sa mise en demeure ne dément pas complètement l’usage du jeu de tarot, seulement le fait qu’il n’a jamais servi à évaluer son client.

Au moment de l’entrevue, Nadine Viau considérait comme diffamatoires le contenu de la mise en demeure et le fait qu’il ait été rendu public et était en train d’évaluer les moyens légaux qu’elle pourrait prendre pour défendre sa réputation. « Ce qui est sorti, c’est loufoque, ce n’est pas ma façon de faire. Je trouve ça bas et sale et je trouve ça triste comme situation », commente-t-elle.

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