Dans le hall d’entrée de la maison, une banderole souhaite la bienvenue à Viktor, débarqué de l’avion il y a à peine deux semaines. Sur la dernière photo des quatre enfants réunis, les jumeaux Macha et Oleg étaient âgées d’environ 3 ans. Ils en ont aujourd’hui 14.
Durant tout le trajet entre l’aéroport et la maison, Pascal se souvient que Viktor n’arrivait pas y croire. Il anticipait la réaction de ses sœurs et de son frère. Quand la fratrie s’est réunie, il n’y a pas eu de larmes, mais beaucoup d’émotions.
«La plus belle image dont je vais me rappeler, [c’est lorsque] je suis arrivée ici: Viktor avait les enfants dans ses bras et ils étaient tous collés ensemble sur le sofa. Je me suis dit que si on avait une mission à faire sur la terre, la mienne était faite», raconte Mélissa.
Les enfants doivent aujourd’hui réapprendre à se connaître, alors que les plus jeunes ne parlent plus leur langue natale. Leur frère, à l’inverse, doit apprendre le français dans les prochaines semaines. Les parents sont impressionés par le naturel avec lequel les retrouvailles se sont opérées.
Adoption
Pascal Tessier et Mélissa Boucher rêvaient de fonder une famille. Après six années en clinique de fertilité, le couple s’est tourné vers l’adoption à l’international.
C’est dans le bureau d’un psychologue, à Kiev, que leur regard a croisé pour la première fois ceux de Lisa, Macha et Oleg, alors âgés de 9 et 10 ans, dont les photos étaient étendues sur le bureau. Le père croyait qu’il serait rationel alors que sa conjointe croyait être émotive. L’inverse s’est produit. «Je les regardais et je me disais qu’ils étaient mignons. Mélissa, elle, réfléchissait à l’éducation, la langue», dit-il.
À l’orphelinat, la chimie a opéré rapidement. Le couple a visité les enfants tous les jours, entre 14h et 17h, pendant un mois. Ils ont même assisté à une soirée d’adieu très émouvante, où tous les enfants faisaient part de leur vœux à la fratrie. Même si c’était interdit, Mélissa laisse avant de partir une petite note avec ses coordonnées à l’orphelinat, pour le grand frère, qui ne réside plus dans le pays. «Elle avait le sentiment que, comme il essayait de les rejoindre, peut-être que ça allait fonctionner», se rappelle le père.
De retour au Québec
C’est à la maison que l’adoption a commencé pour vrai. Le père estime que les enfants ont mis entre six mois et un an à s’adapter à leur nouvelle vie, à gérer des crises et à observer une routine. L’école Au-fil-de-l’Eau, à Mont-Saint-Hilaire, a d’ailleurs été formidable pour aider les enfants à apprivoiser cette nouvelle vie, souligne le papa. «Malgré les difficultés, c’est fulgurant de voir la vitesse à laquelle ils se sont adaptés. L’école les a mis très à l’aise. Il n’y a pas eu de pression de performance.»
En décembre 2014, Viktor a repris contact avec la famille, lors du décès de sa mère. Il y exprime par courriel le vœu de revoir ses sœurs et son frère. Pour l’anniversaire de Lisa, le couple propose à Viktor d’envoyer une vidéo à sa sœur par cellulaire. Selon Pascal, Viktor était tellement gêné qu’il a dû refcommencer la vidéo près de 15 fois.
D’abord méfiant de ses véritables intentions, le couple apprend petit à petit à connaître le grand frère, qui vit dans des conditions difficiles et travaille depuis l’âge de 14 ans. Puis, en février 2017, le couple invite Viktor à les rejoindre.
Pour réaliser le projet familial, Viktor devra faire le voyage de retour de la Crimée vers l’Ukraine, au cours duquel il devra attendre deux semaines dans un poste frontalier. Il évite de justesse le service militaire, obligatoire dans son pays, grâce à un ami. Après une première demande de visa de touriste refusé, le couple réussit à obtenir un certificat de sélection de travailleur qualifié du Québec grâce à une exception dans la loi.
Comme ils l’ont fait pour leurs enfants, Mélissa et Pascal ont accompagné Viktor de l’Ukraine vers le Canada. Il ont également pris le temps de discuter afin de se libérer de tous les questionnements en suspens. Le contenu de cette conversation demeurera privé, même si plusieurs ont posé des questions au couple à ce sujet.
S’adapter
Pour l’instant, la famille évalue la possibilité d’adopter Viktor. La décision lui reviendra ultimement, insistent les parents.
Pour Mélissa, Viktor a ramené avec lui un morceau important de l’histoire de ses enfants, avec ses traditions et sa culture. Il rapporte aussi des photos de sa famille. «Je lui ai dit qu’il n’arrive pas ici comme un frère uniquement, il ramène le pays, une image paternelle et maternelle, les coutumes et beaucoup de choses», ajoute Pascal.