Selon le président de Cyrell, Gabriel Borduas, l’entreprise était en croissance depuis 2018, moment où elle a commencé à exporter aux États-Unis, mais aussi à aller chercher des travailleurs étrangers pour pourvoir des postes. Cette croissance devait se poursuivre cette année, notamment avec l’achat de nouvelle machinerie et un projet d’agrandissement de 17 000 pieds carrés. « On s’enlignait pour une augmentation de 40 % de notre chiffre d’affaires en un an, mais là, tout est sur la glace, sauf pour la partie de la machinerie déjà achetée. Elle est fonctionnelle, mais elle fonctionne au ralenti », déplore-t-il.
Un décret présidentiel doit entrer en vigueur le 12 mars, imposant des tarifs de 25 % sur les importations d’aluminium et d’acier aux États-Unis, en plus de tarifs sur tous les produits canadiens qui pourraient être imposés au début mars. Si ces tarifs ne sont encore que des menaces, leur impact se fait déjà sentir par la peur de clients de l’autre côté de la frontière, affectant les entreprises comme Cyrell. « Nos clients ont peur de ces tarifs, ils ne l’ont pas nécessairement prévu dans leur budget. […] Il y a un certain moment de panique, et on sait que ça va nous faire perdre certains contrats. Quand j’engage des gens, c’est pour soutenir la croissance de mon entreprise, mais on n’en est plus là et on se prépare à gérer la décroissance à la place, alors je ne peux pas garder ces gens, qui sont pourtant de bons travailleurs », reconnaît Gabriel Borduas.
Marché instable
À cause de la perte récente de contrats importants, le président de Cyrell a déjà dû licencier 8 employés, soit environ 10 % de son personnel, et couper 20 % de sa masse salariale en passant à une semaine de 4 jours au lieu de 5. « Sur huit personnes, sept s’y attendaient. Il y a eu des gens vraiment déçus, mais ils savent que c’est la conjoncture. » M. Borduas confirme que ses employés restants sont « nerveux » ces dernières semaines, mais il relativise quelque peu l’instabilité que connaît son industrie en ce moment. « Depuis la COVID, il n’y a plus rien de stable dans le domaine de l’acier et de l’aluminium. Il y a eu des problèmes d’approvisionnement incroyables, menant à des hausses de jusqu’à 40 ou 50 %. En ce moment, on a un contrat sur deux ans à l’hôpital de Vaudreuil-Soulanges et, depuis qu’on a signé, le prix de l’aluminium a déjà augmenté de 25 % : tout bouge très vite! »
Gabriel Borduas estime que la situation actuelle avec les États-Unis va amener les entreprises canadiennes à partir à la recherche de nouveaux marchés, ce qui apportera d’autres défis. « On peut regarder du côté de l’Ontario ou du reste du Canada, mais ça reste un peu compliqué quand on pense qu’à 4 ou 5 heures de route, on a accès à un marché de 36 millions de population, ce qui est plus intéressant que d’aller vers Vancouver et Calgary avec des marchés plus petits et déjà desservis localement. Je pense que le marché va se rétrécir un peu, mais il va finir par se stabiliser. »
Selon lui, plusieurs entreprises doivent s’attendre à « quatre mauvaises années à passer » avec le chaos causé par la présidence Trump, mais que les entreprises plus solides pourront s’en relever sans problème. « Ce ne sont heureusement pas toutes les entreprises qui font affaire aux États-Unis, mais le plus triste, ce sont toujours les pertes d’emplois qui deviennent inévitables. Dans notre cas, on a dû couper 10 % du personnel, mais je ne sais pas encore si on devra couper d’autres employés quand les tarifs entreront vraiment en vigueur. On a les reins solides, mais une entreprise, ça se fragilise vite et on n’a pas le choix de réagir rapidement face à une crise. […] En Beauce, je connais des entreprises qui exportent jusqu’à 90 % aux États-Unis : ceux-là ont dû licencier jusqu’à 40 % de leur main-d’œuvre! Ça va frapper beaucoup de gens. »
Même s’il sait que les différents gouvernements vont tout faire pour régler la situation, le président de Cyrell AMP prédit des négociations difficiles dans le dossier de la guerre commerciale à cause de l’attitude imprévisible de Donald Trump. « Tout ce que je souhaite, c’est d’avoir quelque chose de clair. En ce moment, les clients hésitent, mais il sera plus facile de prendre des décisions quand on saura exactement ce qu’il en est. On a besoin de stabilité pour pouvoir aller de l’avant », insiste-t-il. Il retient donc son souffle quant à la suite des choses.