19 avril 2023 - 07:00
Meurtre de Daphné Huard-Boudreault
Pas de blâme pour deux policiers
Par: Denis Bélanger
Daphné Huard-Boudreault. Photo gracieuseté

Daphné Huard-Boudreault. Photo gracieuseté

Deux agents de la Régie intermunicipale de Police Richelieu–Saint-Laurent (RIPRSL) viennent d’être exonérés par le Comité de déontologie policière des reproches qui pesaient contre eux en lien avec les événements ayant conduit au meurtre de Daphné Huard-Boudreault. Le meurtre a été commis par son ex-copain Anthony Pratte-Lops, le 22 mars 2017 à Mont-Saint-Hiliare.

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Le Commissaire à la déontologie policière estimait que les agents Brigitte Légaré et Martin Fissette avaient chacun commis deux fautes en ne procédant pas à l’arrestation de Pratte-Lops à la suite de la visite de Daphné Huard-Boudreault au poste de police de Belœil le jour du drame. Rappelons que les audiences devant le Comité de déontologie policière ont eu lieu en deux temps, soit en mars 2022 ainsi qu’en octobre dernier. La juge administrative Louise Rivard a rendu son jugement le 5 avril dernier, mais le jugement n’a été diffusé publiquement que dans les derniers jours.

Martin Fissette et Brigitte Légaré sont les deux policiers qui ont discuté avec la jeune femme venue au poste sur l’heure du dîner pour obtenir de l’information. Elle s’était fait voler son cellulaire et pris le contrôle de son compte Facebook par Pratte-Lops. Daphné Huard-Boudreault était traquée par son ex-petit ami depuis un certain temps. Quelques heures avant le drame, des policiers s’étaient rendus au dépanneur où travaillait la jeune femme alors que Pratte-Lops refusait de quitter les lieux. Malgré l’insistance des agents Fisette et Légaré, Mme Huard-Boudreault n’a jamais voulu porter plainte.

Après sa rencontre avec les deux agents, elle a quitté le poste seule pour aller récupérer ses affaires dans l’appartement qu’elle occupait avec Anthony Pratte-Lops sur la rue Forest, là où le meurtre a eu lieu. Elle n’a pas attendu l’agente Légaré qui avait insisté pour l’accompagner. Le drame avait déjà été commis lorsque la policière est entrée dans le logement.

Pratte-Lops avait été arrêté sur-le-champ et il a été condamné, en 2019, à une sentence d’emprisonnement à vie avec une possibilité de libération conditionnelle après 18 ans de détention. Une enquête a été menée parallèlement sur l’intervention policière par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI). Ce dernier a déposé ses conclusions au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui a ultimement décidé de ne porter aucune accusation contre les policiers. Le père de la victime, Éric Boudreault, déçu de cette décision, a ainsi tourné ses efforts auprès du Comité de déontologie policière, reprochant à la police de ne pas avoir protégé sa fille lors des interventions des agents le jour du drame.

Appel toujours possible

Le Commissaire à la déontologie policière a toujours l’option d’aller en appel et a 30 jours suivant la décision pour manifester son intention. « Pour l’instant, aucune décision n’a encore été prise et, pour cette raison, nous ne formulerons pas de commentaire à ce stade-ci », a commenté l’avocate Me Michelle-Audrey Avoine du Commissaire à la déontologie policière.

Les personnes impliquées dans ce dossier ont émis des commentaires très brefs concernant la décision de la déontologie policière. Le père de la victime, Éric Boudreault, a indiqué que la décision ne changeait en rien la suite des choses. Rappelons que son avocate, Me Virginie Dufresne-Lemire, avait indiqué l’automne dernier que la possibilité d’un recours civil était envisagée. Me Dufresne-Lemire n’a toutefois pas voulu commenter le jugement du Comité de déontologie policière. De son côté, le directeur de la RIPRSL, Marco-Carrier, a confirmé avoir pris connaissance du contenu de la décision. « Beaucoup d’améliorations ont été apportées; les dossiers de violence conjugale sont traités avec rigueur », a-t-il précisé.

Aucun reproche

La juge Louise Rivard estime qu’il est impossible de reprocher aux deux policiers de ne pas avoir procédé à l’arrestation du suspect, car il n’était pas présent au poste de police lors de la visite de Daphné Huard-Boudreault. Ils ne pouvaient pas non plus retenir la jeune femme au poste contre son gré.

Louise Rivard ajoute que l’agente Brigitte Légaré a eu vraiment à cœur la sécurité de la jeune femme en s’imposant pour l’escorter à l’appartement. « Cette policière a agi même au détriment de sa propre sécurité, en se rendant seule à l’appartement en raison du retard du duo d’assistance. En tout temps, elle a agi afin de la protéger et a tenté de l’assister comme le prévoit la procédure. »

La juge a tenu des propos similaires à l’endroit de l’agent Martin Fisette. « Le sergent Fisette s’est également préoccupé de la sécurité de Daphné en la rencontrant, en essayant à son tour de la convaincre de porter plainte, en faisant les démarches quant au cellulaire afin de retracer Anthony et en se proposant d’accompagner l’agente Légaré. »

Bien former ses policiers

Le meurtre a amené la RIPRSL à revoir ses directives en matière de violence conjugale et ainsi mieux guider les agents à procéder à une accusation même lorsque la victime ne porte pas plainte. Même si une directive existait déjà en la matière, plusieurs policiers de la Régie ne connaissaient pas son existence. Des policiers ont même témoigné qu’une formation en matière de violence conjugale ne leur avait été donnée qu’en novembre 2021. Louise Rivard a jugé pertinent de noter dans sa décision que, selon les témoignages, si un agent ne peut être présent le jour où une formation est dispensée, pour quelque raison que ce soit, ladite formation n’était plus disponible par la suite.

La juge administrative va même jusqu’à écrire que la direction d’un poste doit s’assurer que ses policiers, gradés ou non, soient au fait des développements jurisprudentiels, des modifications au Code criminel et autres lois et procédures concernant leurs devoirs et leurs pouvoirs. « Cela inclut notamment de la formation en matière de violence conjugale. Si tel n’est pas le cas, ce ne sont pas les membres de la direction qui seront cités devant le Comité, mais ce sont plutôt les policiers qui sont sur le terrain qui risquent d’en être imputables et d’avoir à faire face à des citations les concernant. Sans oublier que des citoyens peuvent également en payer le prix. »

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