17 janvier 2024 - 07:00
Sculptrice installée à Mont-Saint-Hilaire
Pour l’amour du bois
Par: Olivier Dénommée
Depuis ses débuts en 1996, Marie-Carmel Bordes, qui crée sous le nom Marika, a multiplié les sculptures ayant pour thème récurrent la femme. Plusieurs renferment aussi des messages sociaux. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Depuis ses débuts en 1996, Marie-Carmel Bordes, qui crée sous le nom Marika, a multiplié les sculptures ayant pour thème récurrent la femme. Plusieurs renferment aussi des messages sociaux. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Mont-Saint-Hilaire ne manque pas d’artistes talentueux, mais certains se font plus discrets que d’autres. C’est notamment le cas de Marie-Carmel Bordes, sculptrice qui s’y est installée en 2019, juste avant la pandémie qui a mis un frein à sa pratique artistique ces dernières années. Celle qui se fait appeler Marika n’en est pas moins passionnée par ce médium, surtout par le bois qu’elle affectionne tout particulièrement.
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Née à Haïti, Marika est arrivée au Québec à 10 ans et a grandi à Saint-Hubert. Elle a par la suite beaucoup voyagé et est notamment retournée vivre à Haïti pendant quelques années. C’est d’ailleurs là-bas qu’on l’a convaincue qu’elle avait un talent pour la sculpture. « Ça a été une folie : j’avais reçu une immense racine de chêne et j’ai contacté un sculpteur pour qu’il en fasse une œuvre. Il m’a demandé d’aller voir l’évolution de son travail et de lui donner mon avis, jusqu’à ce qu’il me dise : “Vous pouvez sculpter”. Il me l’a dit à plusieurs reprises et, la troisième fois, il m’a dit qu’il pouvait me montrer comment sculpter. Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’ai décidé d’aller le voir. »

À l’époque, elle « poussait un crayon » pour l’Organisation des Nations unies et n’avait jamais touché ce médium de sa vie, mais avait acheté des outils pour s’initier. Le sculpteur François Sanon lui a plutôt proposé de faire lui-même ses outils, de façon artisanale. « Et c’est avec ces outils que j’ai fait ma première sculpture, en 1996 : une femme en bois d’acajou. » L’artiste possède toujours sa toute première sculpture, mais en a fait beaucoup d’autres depuis et elle remercie toujours ce « grand pédagogue » qui a vu quelque chose en elle qu’elle ne soupçonnait pas. Modeste, Marie-Carmel Bordes refuse de s’approprier le mérite pour ses créations. « C’est la lumière de tout le monde qui fait qu’on est ce qu’on est. C’est grâce à la communauté et à l’apport de tout un chacun que l’on peut faire des choses extraordinaires », soutient-elle. Quant à son nom d’artiste, c’est en fait le premier surnom que sa mère lui a donné qu’elle a décidé de reprendre.

Le bois inspirant

Au fil des années, Marika a touché à différents matériaux, mais aucun ne la passionne comme le bois, et ça s’entend quand elle en parle. « J’ai appris beaucoup avec le bois. C’est un médium qui nous fait plonger dans nous-mêmes. C’est possible d’étudier les fibres du bois et l’histoire de son arbre. Et c’est en sculptant des racines que l’on peut comprendre le parcours de la sève, le moment où se forme la branche dans l’arbre, etc. On voit le dessin qui se forme dans le bois, c’est à couper le souffle, et on découvre énormément! Chaque morceau de bois a son histoire. On va me trouver folle, mais je parle presque au bois pour lui demander son parcours », raconte-t-elle. L’artiste soutient que pour sculpter, cela prend une intention, une idée de départ, mais que le matériau procure aussi une inspiration, de par sa forme et ses caractéristiques uniques, influençant ses créations.

« La fois où j’ai véritablement découvert le bois, je travaillais sur un morceau de campêche, un bois comme l’ébène, mais rougeâtre au lieu de noir. En travaillant sur une pièce, j’étais déçue parce que le bois était blanc au lieu de rouge. Mais j’ai donné un coup de maillet et, à l’intérieur, c’était rouge comme le sang! J’ai compris que c’était à l’intérieur que toute la beauté se cachait. Le cœur est plus dur, plus résistant et aussi beaucoup plus beau que de juste travailler l’extérieur », relate-t-elle. Même si elle expérimente depuis différentes façons de travailler le bois, Marika assure être loin d’avoir tout appris à ce sujet, notamment quant au blanchiment, qui peut créer des effets magnifiques.

Durant la visite de L’Œil Régional chez elle, Marie-Carmel Bordes a présenté quelques-unes de ses créations et a longuement expliqué la démarche artistique derrière elles. Plusieurs mettaient de l’avant des personnages féminins et renfermaient un message social, dont la dénonciation des injustices. « Pour moi, ce sont des thèmes du quotidien. J’ai commencé à sculpter à presque 50 ans, alors c’est sûr que mon parcours de vie a influencé mon art », relativise-t-elle. Une de ses créations les plus récentes est quant à elle inspirée d’un poème de Cécile Chabot qu’elle a appris par cœur alors qu’elle était enfant et qui l’a suivie toute sa vie.

Du Texas à Mont-Saint-Hilaire

Marika a longtemps vécu aux États-Unis, dont 15 ans au Texas, où elle était très impliquée dans sa communauté, réalisant des œuvres d’art public et plusieurs commandes pour des sculptures religieuses. « J’ai vécu là-bas pendant 15 ans… Puis, je suis venue avec mon mari m’installer directement à Mont-Saint-Hilaire! Mais nous étions à peine installés quand la COVID-19 a frappé, nous enfermant chez nous. Nous ne connaissions encore personne et ça a été lourd », relate l’artiste.

Malgré cette épreuve, le couple adore sa région d’adoption. « La montagne et la rivière me plaisent : on médite dans cet endroit! Mes voisins me plaisent aussi, ils sont toujours prêts à aider même quand on se parle peu. » Son complice, Dennis Martin, Américain d’origine, apprécie aussi les petites entreprises locales qui vendent des produits de grande qualité. « Récemment, on a passé quelques semaines en Europe, dont la France et la Belgique qui ont de l’excellent pain, mais on s’ennuyait quand même de celui de la boulangerie Le Pain dans les Voiles! »

Au moment de l’entrevue, Marika a mentionné son désir d’enfin installer un atelier pour reprendre la sculpture. « Ça a été plus tranquille avec la pandémie, mais j’ai l’intention de m’y remettre si je n’ai pas oublié comme ça marche! J’ai quand même passé quatre ans sans toucher à mes outils tous les jours », note-t-elle. L’Hilairemontaise estime que la région pourrait d’ailleurs influencer ses prochaines créations. « J’ai quelques idées qui me trottent dans la tête », lance-t-elle.

Elle aimerait un jour montrer ses créations dans la région, « pourvu que ça puisse profiter à la communauté », insiste-t-elle. « Je ne suis pas ici parce que j’ai un talent particulier, mais parce que quelqu’un m’a un jour dit que j’étais capable, sinon je serais passée à côté de cette vie. Quand j’ai commencé à exposer mes œuvres, je voyais le “moi”. Là, je vois davantage le “nous”, la communauté qui rend tout ça possible. »

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