Née en 1942 au Saguenay dans une famille tout sauf typique, Nicole Tremblay a élu domicile à Belœil pour fonder sa famille. « Elle reconnaissait quelque chose du Saguenay à Belœil : à l’époque, c’était une toute petite ville avec de l’entraide entre les citoyens et une proximité avec la nature, tout en étant proche de Montréal », estime sa fille, Roxane Chamberland.
Le style de Nicole Tremblay était facilement reconnaissable. Elle a longtemps peint les oiseaux, symbole de liberté pour elle, avant de s’intéresser plus récemment à sa série des « Femmes souveraines », toujours dans cet esprit de liberté. En plus de la peinture, elle a aussi intégré le sable à certaines toiles et s’est intéressée à la verrerie. Plusieurs de ses créations ornent déjà des lieux publics et ses œuvres ont été présentées dans diverses expositions à travers le monde. Mais c’est sa facilité désarmante à aller vers l’autre qui marque le plus ses enfants. « C’est une pédagogue née. Dès qu’elle a fini sa maîtrise en histoire et administration de l’art à l’UQAM en 1979, on lui a offert le poste de professeure. Elle avait un peu le syndrome de l’imposteur, mais elle a quand même enseigné pendant 30 ans et elle disait à son frère Damien qu’elle trouvait que ça n’avait pas de bon sens d’être payée pour parler! », se souvient son fils, Rafaël Chamberland.
Mais c’est auprès des enfants qu’elle a eu le plus de plaisir à transmettre sa flamme pour l’art, chose qu’elle a pu faire à de nombreuses reprises via le programme aujourd’hui appelé « La culture à l’école ». « Quand il y avait de gros projets à faire avec les jeunes, elle était souvent appelée à collaborer. Chaque fois, elle revenait en nous disant à quel point les enfants sont bons. Ça la nourrissait », raconte Rafaël. « C’était pour elle une manière de redonner, même si elle recevait autant des jeunes. Surtout, elle ne voulait pas leur dire quoi faire. Elle a donné un seul cours de peinture à des adultes et n’en a jamais redonné par la suite : pour elle, c’est le geste créateur qui importait et elle l’a trouvé avec les enfants », poursuit Roxane.
Liberté
Avant-gardiste dans sa réflexion, Nicole Tremblay traitait de sujets bien avant qu’ils deviennent d’actualité. Ses thèmes de prédilections incluaient notamment la nature et les préoccupations environnementales. Elle a même tenu une galerie familiale dans le Vieux-Moulin du Vieux-Belœil pendant sept ans portant le nom de… Galerie Environnement! « On parle des années 70 et 80, époque où on n’en parlait pas beaucoup, mais elle avait déjà cette conscience-là », observe son fils.
Un autre sujet cher à Nicole Tremblay est le féminisme. Cela se voit dans sa série mettant en vedette les femmes, mais elle a aussi fait preuve de leadership dans sa vie personnelle. Dans un CV féministe à la fin du recueil sur les « Femmes souveraines », elle raconte notamment ses difficultés au début de sa carrière d’être prise au sérieux en tant que femme et son combat pour conserver son nom de jeune fille malgré son mariage. Elle est finalement toujours demeurée une Tremblay, quoi qu’en dît la société de l’époque.
Car c’était surtout une femme qui s’est donné la chance de vivre comme elle l’entendait, sans compromis. « C’est elle qui m’a appris que ce n’est pas important ce que les autres pensent de nous. Ça prend une personne forte pour avoir le courage de mener sa vie différemment. Elle a inspiré beaucoup de gens, et surtout beaucoup de femmes », confirme Roxane Chamberland.
Ces derniers mois, malgré une santé plus fragile, Nicole Tremblay n’a jamais cessé de créer. Elle a eu le temps de signer quelques toiles en 2023 et travaillait sur un important projet familial plus personnel. « Elle a fait beaucoup de recherches pour ce projet de fresque. Elle n’avait pas encore commencé à peindre, mais elle savait exactement ce qu’elle voulait faire. Elle nous a donc laissé un tableau blanc avec toute sa recherche d’archives familiales. C’est quelque chose de touchant pour nous de penser à l’œuvre qu’elle avait en tête, mais qui ne s’est jamais matérialisée », raconte Roxane. Selon elle, sa mère a conservé sa joie de la création intacte jusqu’à son dernier souffle.
Pluie d’hommages
Plusieurs personnes ont souhaité rendre hommage à la défunte artiste depuis l’annonce de son décès, dont la mairesse de Belœil, Nadine Viau, qui a souligné la chance que la ville avait d’avoir eu pendant toutes ces années une personne engagée et une artiste de ce calibre sur son territoire. Plusieurs personnes ont aussi partagé à L’ŒIL le souvenir impérissable qu’ils vont garder de Nicole Tremblay.
Amie de longue date, la sexologue Jocelyne Robert décrit Nicole Tremblay comme une femme extrêmement conviviale. « Elle était toujours intéressée. Quand elle t’écoute, tu te sens unique au monde. C’était une femme tellement généreuse et amoureuse de la vie… C’est une grande perte et je crois qu’elle n’a jamais été reconnue à sa juste valeur comme artiste. » Elle avoue regretter de ne pas avoir eu la chance de souper une dernière fois avec son amie avant son décès. « On échangeait régulièrement par courriel et j’ai malheureusement dû annuler notre dernier souper parce que j’ai attrapé la COVID-19 récemment. Je la savais fragile, mais son décès m’a fait un choc. Il y a de ces êtres qu’on croirait immortels et Nicole était parmi eux. » Enfin, elle souhaite que l’œuvre de son amie soit davantage reconnue par le peuple québécois.
Des propos appuyés par l’ancien député local, Jean-Pierre Charbonneau, qui connaissait bien Nicole Tremblay. « Le problème de notre région est que c’est une pépinière d’artistes, mais qu’on ne leur donne pas nécessairement toute la reconnaissance qu’ils méritent. Nicole était une artiste de grand talent et une personne de convictions, une grande artiste que la région perd. » Il souhaite voir dans un avenir rapproché une exposition rétrospective de son œuvre.
Chantal Lebel, coordonnatrice arts et culture à la Ville de Belœil, ne garde que du bon de ses interactions avec Nicole Tremblay. « Elle m’a beaucoup inspirée, autant dans son discours artistique et social très engagé que dans sa générosité à partager ses connaissances et ses réflexions. Elle était très accessible et aimait beaucoup les gens. […] Nicole, c’est son visage au complet qui sourit. C’est son cœur qui s’ouvre à l’autre. C’est une puissante force créatrice. Elle est à tout jamais gravée dans mon cœur. »
La pianiste Francine Lacroix, voisine et amie de Nicole Tremblay, a souvent marché avec elle dans le quartier ces dernières années. « Étonnamment, ce qui nous liait n’était pas l’art, mais simplement le quotidien. Quand on se parlait, on discutait de nos enfants et on échangeait des recettes! On marchait fréquemment ensemble et, à chaque marche, on prenait trois minutes pour arrêter et regarder les couleurs du ciel. » Elle a toujours apprécié ses interactions avec la Nicole « normale », qui lui faisait oublier qu’elle avait affaire à une artiste de calibre international. « Malgré son côté extravagant, c’était une personne simple, une personne humaine qui trouvait tout le monde magnifique. […] Ça va me manquer de ne plus la voir passer devant ma fenêtre pendant que je joue du piano. Je perds quelqu’un d’important et la région perd quelqu’un de plus grand que ce qu’on peut penser. »
Nicole Tremblay laisse dans le deuil son frère Damien, ses deux enfants, son petit-fils et beaucoup d’amis et de gens qui l’ont côtoyée au fil des années. La famille recevra les sympathies le samedi 15 juillet, de 10 h à 15 h, au Complexe funéraire Demers de McMasterville. Une célébration aura lieu dans la chapelle du complexe, où se trouve justement une de ses œuvres de verrerie.
Route des arts
Fidèle membre de la Route des Arts du Richelieu (RAR) depuis des années, Nicole Tremblay faisait partie de la programmation des artistes qui doivent ouvrir leur atelier au public la fin de semaine du 10 et du 11 juin. Même sans elle, il sera possible pour une dernière fois de le visiter puisque ses enfants y seront pour accueillir les visiteurs. La Route des Arts promet aussi un petit hommage à cette artiste hors du commun à l’occasion du vernissage de l’exposition collective à la maison de la culture Villebon, le 8 juin.