Alain Leblanc a tout d’abord été invité à collaborer avec lui sur l’album Bleu, blanc, blues, sorti en 1992. Jean-Pierre Ferland a fait à nouveau appel au musicien pour écrire les chansons qui apparaîtra sur l’album Écoute pas ça en 1995, une expérience unique qui n’a jamais pu être répétée, raconte M. Leblanc.
Bien qu’il fût loin de se douter du succès monstre qui a suivi, il sentait déjà à l’époque qu’une certaine magie opérait. Pour dire, durant les 90 jours où ils ont créé, il n’a plu que trois jours, se rappelle-t-il. Grâce à cet album encensé par la critique, Jean-Pierre Ferland a mis la main sur le Félix auteur-compositeur de l’année au Gala de l’ADISQ en 1995.
Il se remémore le matin où la chanson « Une chance qu’on s’a » a été écrite. La veille, le chien de Jean-Pierre Ferland était décédé. L’ambiance était triste dans la maison du chanteur à Saint-Norbert, où se rendait chaque matin M. Leblanc pendant l’écriture de cet album. La cabane à sucre, située à proximité, abritait le studio d’enregistrement.
Et comme ça, Jean-Pierre Ferland, attristé, a lancé « Une chance que j’t’ai / Je t’ai, tu m’as / Une chance qu’on s’a ».
« Je me suis assis au piano, mentionne Alain Leblanc. J’ai essayé quelques notes en ayant ces paroles-là en tête. De loin, j’ai entendu Jean-Pierre dire qu’il aimait ça. Le refrain était né. J’ai enregistré la chanson sur une cassette, ça trahit l’âge de la chanson. Le lendemain, la chanson était écrite. La mort de son chien l’a mis dans ce mood-là. Il avait une grande sensibilité ce matin-là. »
En 2003, Alain Leblanc deviendra le directeur musical de Jean-Pierre Ferland et le restera jusqu’en 2015. « Quand Jean-Pierre Ferland te demande de devenir son directeur musical, tu dis oui. Nous avons eu une grande complicité professionnelle. On s’est côtoyés pendant 20 ans. Je crois qu’on a eu seulement deux différends. C’est une bonne moyenne », dit-il en riant.
Généreux et superstitieux
Lynn Jodoin se rappelle son rire, un son fort. « Il riait de tout, tout le temps, même de mes blagues plates. Tout le monde a ses défauts et ses qualités, mais je me rappelle surtout qu’il était généreux. »
Elle a rencontré M. Ferland par le biais de son conjoint, Alain Leblanc. Remarquée au Festival international de la chanson de Granby en 1996, elle sera invitée à chanter à titre de choriste pour le chanteur. Au tout début, elle chantait à l’arrière-scène, cachée du public. Au fil des années, elle a été déplacée derrière un rideau comme une ombre chinoise et a finalement été amenée sous les feux des projecteurs en accompagnant M. Ferland sur scène.
« Il était superstitieux. Il avait ses manies avant d’entrer sur scène. Il n’avait pas confiance en sa voix. Il fallait le rassurer. Je le massais dans le cou et je lui disais qu’il était le meilleur. Après le spectacle, il prenait un gin tonique avec cinq glaçons. Il devait toujours y avoir cinq glaçons », se souvient Mme Jodoin.
Elle l’a côtoyé pendant 25 ans et a déployé sa carrière principalement autour de l’œuvre de Jean-Pierre Ferland. Elle présente d’ailleurs depuis plusieurs années un spectacle hommage. « J’ai fait la salle Claude-Léveillée à la Place des Arts. Il était venu me voir sans me le dire. Je me rappelle que j’avais raté ma sortie à la fin. Je l’ai dit au micro et il a crié “Moi aussi!”. À cette époque, il était à la retraite, mais il participait tout de même à plein de projets », conte-t-elle avec le sourire.
Âgé de 89 ans, Jean-Pierre Ferland s’est éteint le 27 avril. Le gouvernement du Québec a annoncé lui offrir des funérailles nationales pour célébrer son important legs à la culture québécoise.