21 mai 2024 - 05:00
Conteste du abstrait lancé à la Maison Paul-Émile-Borduas
Un manifeste artistique pour mieux comprendre l’autisme invisible
Par: Olivier Dénommée
Nolia Bélanger, initiatrice du projet, à l’occasion du lancement du manifeste artistique Conteste du trouble abstrait durant son lancement à la Maison Paul-Émile-Borduas de Mont-Saint-Hilaire, endroit fortement symbolique pour les participants au projet, tous des artistes autistes dits invisibles. Photo Jean G. Turgeon

Nolia Bélanger, initiatrice du projet, à l’occasion du lancement du manifeste artistique Conteste du trouble abstrait durant son lancement à la Maison Paul-Émile-Borduas de Mont-Saint-Hilaire, endroit fortement symbolique pour les participants au projet, tous des artistes autistes dits invisibles. Photo Jean G. Turgeon

Le 20 avril dernier a été lancé le manifeste Conteste du abstrait, un document cherchant à provoquer l’écoute en revendiquant une meilleure compréhension de l’autisme et de son spectre, une représentation médiatique plus juste et, ultimement, un accès aux bonnes ressources. Ce manifeste artistique a été écrit par le collectif artistique Réplique Authentique, regroupant 10 artistes autistes québécois et dirigé par Nolia Bélanger.
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Nolia Bélanger, artiste de la région de Québec, compare ses démarches pour recevoir son diagnostic à un véritable « parcours du combattant », elle qui a reçu plusieurs faux diagnostics avant d’enfin avoir celui d’autisme à l’âge de 29 ans, en 2019. Elle a fondé ces dernières années le collectif Réplique Authentique avec d’autres personnes autistes dites « invisibles », aussi appelées à « haut niveau de fonctionnement ». « Le projet de manifeste est né autour d’une discussion sur le fait qu’il faut changer les choses et apporter un nouveau visage à l’autisme, car dans les médias, on voit souvent le même type de profil, généralement accompagné d’une déficience intellectuelle, ce qui n’est pas représentatif de la majorité de la population autiste », soutient-elle en entrevue, accompagnée de l’Otterburnoise Sylvie Lauzon, une alliée du mouvement bien qu’elle ne soit pas autiste elle-même. Les organismes s’occupant de personnes autistes ont aussi tendance à favoriser certains types d’autisme, note-t-elle, ce qui peut limiter l’aide qu’il est possible de recevoir si on ne coche pas les bonnes cases.

Pour Nolia Bélanger et les membres de son collectif, les autistes invisibles sont capables de fonctionner relativement normalement, mais au prix d’une fatigabilité extrême. Elle confie d’ailleurs qu’après le lancement du manifeste, elle était « complètement effondrée » pendant deux jours. « Ça occasionne des contraintes sévères à l’emploi et c’est donc difficile de travailler à temps plein. Ce n’est pas parce que c’est invisible que ça n’a pas de conséquences, même si on pourrait penser que je n’ai pas de problème parce que j’ai été capable de lancer un projet aussi gros que ce manifeste! » C’est dans cet esprit que le Conteste du abstrait a été écrit, pour mieux montrer l’éventail du spectre et les défis auxquels font encore face des personnes autistes en 2024, malgré toute l’attention portée à cette réalité.

« C’est souvent des personnes non autistes qui parlent à la place des personnes qui le sont. Elles parlent trop souvent à travers leur chapeau et ne consultent même pas les personnes concernées avant de parler en leur nom. Ce que propose Nolia et le collectif, c’est de prendre la parole comme artistes autistes pour être entendus. Ils font des revendications, mais proposent aussi des solutions, souligne Sylvie Lauzon. Pour moi, avec la sortie de ce manifeste, il y a un avant et un après. »

Pas un trouble, pas une maladie

Selon les chiffres relayés dans le manifeste, on estime que 1,5 % de la population québécoise est dans le spectre de l’autisme. Nolia Bélanger fait le pari que ce chiffre ne va qu’aller en augmentant, pas parce qu’il y aura une « explosion » d’autisme, mais simplement parce que davantage de personnes recevront le diagnostic alors que certains spécialistes refusaient encore il y a quelques années de reconnaître l’autisme chez les femmes. Elle n’apprécie pas particulièrement le terme « trouble du spectre de l’autisme » (ou TSA), pourtant couramment utilisé dans l’espace public, à cause de la connotation du mot « trouble ». Ce n’est pas pour rien que le mot est barré dans le titre du manifeste. « Un trouble revient à parler de santé mentale et ça a une forte connotation péjorative, comme si l’autisme était un trouble dans la société, ce qui peut miner la confiance des personnes autistes », martèle Nolia Bélanger, préférant parler de « diagnostic d’autisme ».

Elle rappelle aussi que ce n’est pas une maladie et que l’autisme ne se guérit donc pas avec un médicament miracle. D’ailleurs, depuis qu’elle a eu son diagnostic, elle ne prend plus de médicaments et se porte beaucoup mieux; elle a plutôt appris à gérer son horaire en fonction de ses enjeux de fatigabilité. « C’est contraignant, mais je fonctionne mieux que quand j’étais bourrée de médicaments. » Pour l’auteure principale du manifeste, il suffirait d’adapter un peu la société à la réalité des personnes autistes pour qu’elles s’y intègrent plutôt que de les identifier comme des « troubles ».

L’art comme médium

Si Conteste du abstrait se veut très revendicateur pour déstigmatiser l’autisme dans la société et proposer des solutions à des problèmes identifiés, le volet artistique demeure central dans le projet. « C’était important de passer par l’art pour faire nos revendications. Les 10 artistes du collectif ont joint leurs forces par la poésie, l’écriture, la sculpture, la photo, etc. En plus d’une œuvre, tous les artistes ont écrit un texte sur leur propre vécu, leur expérience », relate Nolia Bélanger.

Elle note d’ailleurs que, s’il n’est pas nécessairement évident à l’œil de faire la différence entre une création d’une personne autiste et une autre neurotypique, la démarche est quelque peu différente dans les arts visuels. « Quand on parle à un artiste autiste, il dira souvent que l’art est sa façon d’exprimer ses émotions, ce qui est une chose normalement plus difficile à faire. » Un auteur autiste est quant à lui souvent très visuel dans ses textes. « Le commentaire qu’on reçoit le plus, c’est que les lecteurs voient vraiment ce qu’on décrit. On a une grande perception de ce qui nous entoure et des détails, ce qui donne des images très fortes », remarque Nolia Bélanger. « C’est vrai que vous écrivez en images! », acquiesce Sylvie Lauzon, qui a elle-même un fils autiste.

Symbole fort

Ce n’est pas une coïncidence que le manifeste ait été lancé en avril à la Maison Paul-Émile-Borduas. Avril était le mois de l’autisme et le lieu a servi d’inspiration à Nolia Bélanger pour aller de l’avant avec le projet. « Je connaissais déjà Borduas et son histoire, mais je n’avais jamais visité sa maison avant 2022, où j’ai eu une vision. J’ai su que je voulais faire bouger les choses à travers un manifeste, comme Paul-Émile Borduas l’a fait avec le Refus global, et nous avons été accompagnés de manière extraordinaire par l’équipe du Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire pour le lancement. »

Le lancement a eu lieu de façon plutôt intime avec les membres du collectif Réplique Authentique, leurs proches et quelques invités. Comme l’essentiel du travail d’écriture s’est fait à distance, c’était aussi la première fois que plusieurs des participants se rencontraient.

« Y a-t-il un mot plus fort que “fébrile” pour décrire comment on se sentait? Tout le monde mesurait l’importance de cette journée et j’ai eu la chance de faire un discours exactement dans la salle où a été écrit le Refus global : c’était comme un rêve qui se réalisait et je pense que ce lancement a renforcé notre vision que c’est par l’art qu’on arrivera à faire bouger les choses », poursuit l’artiste, qui a eu la chance d’échanger avec le personnel du député de Borduas et ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. « La sortie du manifeste, ce n’était que la première étape. Le but est éventuellement que ça se rende au gouvernement pour faire changer les lois et les programmes qui sont souvent mal adaptés à la réalité des personnes autistes ou carrément incomplets. »

Le but avoué de son collectif : « On veut être la dernière génération à avoir eu des difficultés à recevoir un diagnostic et l’aide appropriée. Notre souhait est qu’aucune autre personne autiste n’ait à faire les mêmes combats que nous. »

Maintenant que Conteste du abstrait est lancé, Nolia Bélanger considère de poursuivre l’écriture, notamment à travers d’autres recueils, pour continuer la sensibilisation à l’autisme invisible. « Il faut y aller par étapes. Après la sensibilisation, il sera possible de demander de comprendre, puis de changer. On pense que l’art reste le meilleur médium pour y arriver. […] Je rêve au jour où on va arrêter de nous dire que “ça paraît pas” qu’on est autiste et que les gens se mettent à nous demander ce qu’ils peuvent faire pour qu’on soit à l’aise. Ce sont des petites choses qui ne changeront rien pour eux, mais qui feront qu’on passera une meilleure journée. »

« Dans bien des cas, ça ne prend que de petites adaptations pour que ça marche, mais tant qu’on refuse de les faire, on se prive comme société du potentiel de ces personnes-là », commente pour sa part Sylvie Lauzon.

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