Malgré le thème sombre et certaines images inquiétantes, Céline B LaTerreur aborde le sujet de son exposition, sur laquelle elle travaille depuis 2019, avec beaucoup d’humour et de légèreté. Pour elle, Mariage funeste est la reproduction d’une salle de réception d’un mariage en apparence parfait, mais où se cachent différents indices que tout ne se passe pas aussi bien « sous le glaçage ». « Je me suis intéressée au sujet de la violence conjugale, qui est toujours d’actualité, mais qui est souvent cachée. Dans un mariage, tout a l’air beau : on choisit les plus beaux tissus, les plus beaux bijoux, de la belle dentelle, etc., mais quand on creuse un peu, on peut trouver des indices de violence. La pièce centrale de l’exposition est un gâteau de mariage, qui cache des éléments plus macabres (un crâne caché dans le gâteau) quand on fait le tour. » Une autre œuvre est selon elle très évocatrice, représentant un petit gâteau tout blanc, sur lequel il est écrit SOS en petit. « Je trouve qu’il représente bien la violence. Tout est blanc, mais il y a un petit cri à l’aide, perdu dans le crémage. »
Céline B LaTerreur précise que si elle a été mariée à deux reprises par le passé, elle ne fait heureusement pas partie des victimes de violence conjugale. Ses recherches sur le sujet lui ont toutefois appris que les survivantes avaient souvent un sens de l’humour très développé, l’amenant à vouloir traiter le sujet de façon ludique. « Ce n’est pas une exposition macabre et même les enfants l’adorent! […] L’exposition a été présentée à quelques reprises avant, mais j’ai fait une quinzaine d’œuvres inédites, généralement des œuvres plus légères, pour le Musée ici », note-t-elle.
Artéfacts personnels
En plus de créer des gâteaux de mariage, présentés comme des tableaux en 3D (Céline B LaTerreur considère son art comme de la peinture et non de la sculpture) avec des inscriptions souvent inquiétantes, l’artiste a aménagé plusieurs petites pièces agrémentées d’objets appartenant à sa famille ou à elle-même. « Il y a beaucoup d’éléments de ma vie personnelle dans mon art. Il y a plusieurs années, je me suis coupé les cheveux, que j’ai incorporés dans mes œuvres. Plusieurs robes que j’ai portées sont aussi exposées. Même mes dents de sagesse, arrachées dans la douleur, s’y trouvent! Il y a aussi le dentier de mon grand-père, des bijoux de famille ou des bouts de fourrure ou des crânes d’animaux », énumère-t-elle. Elle précise que la fourrure lui vient de sa grand-mère qui a été modiste et que les ossements d’animaux viennent de cadavres trouvés en forêt par exemple. « Aucun animal n’a été tué pour réaliser l’exposition! » rassure-t-elle.
Toucher les gens
Si Céline B LaTerreur a présenté ses œuvres à quelques reprises dans le passé, aucune exposition n’a été aussi loin dans la sensibilisation à la violence conjugale que celle-ci et un panneau a été installé, à l’initiative du MBAMSH, pour décrire différentes formes de violence et des coordonnées de ressources au besoin. « Ce qui me préoccupe, c’est que la violence n’affecte pas que les femmes, mais aussi leurs enfants, ce qui fait un bassin de victimes énorme. Un homme de 65 ans m’a déjà approchée pour me dire qu’il avait grandi dans un foyer violent et qu’il avait demandé à sa mère de partir, mais que ce n’est pas quelque chose qui se faisait à l’époque, et qu’il aurait voulu qu’elle puisse voir mon exposition », raconte l’Otterburnoise. Elle admet que son exposition ne propose pas de solutions, mais peut au moins susciter des discussions au sujet de la violence conjugale.
Selon elle, ce qui touche le plus le public avec Mariage funeste, c’est le mélange « de séduction et de répulsion », ne laissant personne indifférent. « Quand les gens arrivent, tout a l’air beau, jusqu’à ce qu’ils s’approchent et se mettent à rire après avoir découvert les surprises qui s’y cachent. » Mais est-ce une bonne sortie pour la Saint-Valentin? « Si jamais vous aimez les gâteaux trash, c’est quand même une belle exposition à voir! », lance-t-elle en riant.
Performance intime
L’artiste reviendra au Musée le dimanche 16 février, de 14 h à 16 h, le temps d’une performance au lieu de son exposition. « Les gens vont pouvoir me parler pendant que j’aurai l’air de dormir, allongée sur une table de massage en état d’hypnose. Ce n’est pas une performance où je raconte quelque chose, mais où les gens peuvent se confier à moi. C’est assez intime et toujours très touchant chaque fois que je le fais. »
Artistes invitées
Rappelons que Céline B LaTerreur n’est pas la seule à exposer ses créations dans la salle des expositions temporaires du MBAMSH en ce moment. Il est aussi possible de voir des œuvres de l’artiste en arts visuels Valérie Guimond et le court-métrage Luce RTX3090 de la cinéaste Julie Tremble. « On a en commun de toutes s’intéresser à la condition féminine, vue d’une autre façon », constate Céline B LaTerreur.
D’un côté, Valérie Guimond s’intéresse à l’hypersexualisation des jeunes filles, prises en otage dans une adolescence étouffée par les diktats des standards de beauté de leur époque. De l’autre, Julie Tremble présente une animation mettant en scène un personnage en trois dimensions modélisé à l’image de l’actrice Luce Guilbeault (1935-1991) telle qu’elle apparaîtrait en 2062… à l’âge de 127 ans. Cette fiction spéculative met en relation un certain rapport au corps des acteurs et les recherches actuelles en génétique, en plus d’aborder les technologies numériques permettant de rajeunir quelqu’un ou même de leur donner un rôle après leur décès.
L’exposition est présentée au MBAMSH du 18 janvier jusqu’au 23 février. Info : mbamsh.com.