Lorsque le couple a acheté le terrain situé sur la rue Noiseux au milieu des années 1990, celui-ci était un verger à l’abandon depuis des décennies. Cela lui aura pris des années pour développer la première partie du terrain et enfin y planter ses premières vignes. « Les premières ont été plantées en 2000, ce qui fait qu’elles peuvent maintenant porter la mention de “vieille vigne” », souligne Mme St-Arnaud. À ses débuts, le couple de vignerons a commencé avec la production d’un vin rouge, d’un rosé et d’un blanc, mais le vignoble compte aujourd’hui sur huit produits.
« Quand on a commencé, on a obtenu le permis numéro 75, mais plusieurs vignobles ont lâché avant nous. Ça commençait encore à peine! […] Parmi les produits chouchous, il y a Le Chenapan, notre vin rouge qui se vend très bien, mais plusieurs disent qu’il faut absolument goûter notre vin orange! Les deux vins rosés (sec et demi-sec) sont aussi très populaires en été », énumère Monique St-Arnaud, fière de chacun de ses produits. Elle note que le vin orange, produit depuis une dizaine d’années déjà, fait partie des premiers offerts au Québec. « Il suffit souvent que quelqu’un nous découvre et en parle. En 25 ans, on n’a jamais fait de gros lancements, car on avait une trop petite production. Là, on est équipés pour tout faire et on peut embouteiller 600 bouteilles en une demi-journée. »
Daniel Hamel et Monique St-Arnaud se sont rencontrés il y a près de 50 ans à l’université et ne se sont jamais lâchés depuis, se lançant ensemble dans tous leurs projets, incluant celui du Vignoble Les Murmures, et à peu près tout au vignoble a été réalisé par le couple, allant de l’aménagement du terrain jusqu’à la construction de leur maison en passant par les décorations. « Une nouveauté cette année est d’ajouter une petite galerie d’art chez nous, où j’expose des aquarelles que j’ai créées. Tout ce qu’on voit ici, que ce soit les meubles, le vitrail, les mosaïques sur les tables, c’est fait par nous! En 25 ans, disons qu’on a eu le temps de faire pas mal de choses », commente la copropriétaire.
« J’ai été dans l’enseignement pendant des années, et quand on enseigne, on ne voit pas nécessairement le résultat de notre travail. Mais quand on plantait des vignes et qu’on défrichait le terrain, on voyait en temps réel ce qu’on était en train de bâtir. C’est valorisant. On a vu des résultats concrets de nos efforts et quand on gagne des prix dans des concours ou qu’on a droit à un article dans le journal, c’est aussi valorisant! » raconte Mme St-Arnaud.
Cette passion est aussi visible quand elle parle de ses vins, qu’elle compare à ses « bébés ». « Les tonneaux qu’on utilise viennent de France, principalement de la Bourgogne. Le chêne français laisse un petit goût vanillé au vin, comparativement au chêne américain, qui donne quelque chose de plus costaud. »
Une vie de travail
Monique St-Arnaud regarde avec fierté tout le travail et les sacrifices que sa petite famille a faits, même si elle reconnaît que cela n’a pas toujours été facile, notamment à cause du travail très physique et des subventions gouvernementales auxquelles le vignoble n’a jamais été admissible. « Même pendant nos vacances, on travaillait sur le vignoble : pas question d’aller dans le Sud », se remémore-t-elle. Depuis, les deux vignerons ont suivi des formations pour être juges internationaux pour des concours de vins, ce qui leur permet maintenant de voyager un peu partout. « Ça nous a amenés en France, en Allemagne, au Chili… C’est un de nos critères quand on part en vacances : il faut que le pays produise des vins! »
À ses débuts, le Vignoble Les Murmures ne produisait que de petits volumes et le bouche-à-oreille suffisait pour écouler sa production. Aujourd’hui, la réputation du vignoble la précède et des habitués se font une tradition de venir au moins une fois par année. « Parmi nos offres, il est possible de participer à une dégustation ou boire un verre sur notre terrasse. Les gens qui viennent ici, on les soigne bien! » assure Monique St-Arnaud. Une activité populaire au vignoble est la période des vendanges, où les gens sont invités à travailler toute la journée avec les vignerons. « Certains vignobles font payer les gens pour travailler; ici, ça ne coûte rien et le soir je fais à souper aux participants. Disons qu’on ne manque jamais de gens pour les vendanges et je crois qu’un groupe en est à sa 16e année de participation! » La copropriétaire note que les visiteurs sont nombreux à l’approche de l’automne, mais que le vignoble est aussi agréable à visiter tout l’été, dès son ouverture à la mi-juin.
Pas prêts à partir
Monique St-Arnaud et Daniel Hamel ont mis leur âme dans leur vignoble, mais ils sont conscients qu’ils ne pourront pas y consacrer beaucoup d’autres décennies. « La relève, c’est la grande question pour nous. Là, ça va bien, car on est encore en forme, mais quand on ne le sera plus, je ne pense pas que nos enfants sont intéressés à reprendre l’entreprise : ils ont une belle vie et ils n’ont pas besoin d’un vignoble qui représente énormément de travail. Et nous, on n’est pas encore prêts à partir d’ici pour aller vivre dans un petit appartement! » soutient Mme St-Arnaud. Tant que le tandem sera capable de travailler, il ne compte pas quitter son « petit coin de paradis ».
« Vin du Québec », une expression à proscrire
Si, depuis plusieurs années, les vins québécois gagnent en popularité, l’expression ne plaît pas du tout à la copropriétaire du Vignoble Les Murmures Monique St-Arnaud, qui la considère réductrice. Elle croit qu’il est temps d’au moins les catégoriser par région, ce qui serait plus représentatif de leurs particularités.
« Ce qui nous démarque, c’est notre région », insiste-t-elle au sujet de la force des vins produits chez Les Murmures, dont les vignes poussent à Saint-Jean-Baptiste, au pied du mont Saint-Hilaire. Selon elle, cela donne des vins très différents de ce qui se fait dans d’autres régions du Québec. « Jamais on ne parlera d’un vin de France, on y va par région. Alors, les “vins du Québec”, je ne suis plus capable d’entendre ça : ceux de l’Île d’Orléans et de Matane sont complètement différents. Ici, on devrait au moins parler de vin de la Montérégie. »
À son avis, une région n’est pas nécessairement meilleure qu’une autre pour produire du vin, mais chacune aura ses spécialités et ses particularités. Par exemple, la Montérégie permet la production d’excellents vins rouges. « C’est tellement grand le Québec qu’il faut commencer à nuancer les propos et cesser de mettre tous les vins québécois dans le même panier, même pour les sommeliers qui en parlent dans les médias. C’est une grosse conviction que j’ai. » Elle trouve aussi dommage d’entendre des gens commenter qu’ils n’aiment pas les vins du Québec après avoir eu une ou deux mauvaises expériences.
Pour Monique St-Arnaud, les vignerons échangent beaucoup entre eux et ils ne sont pas nécessairement en compétition les uns contre les autres. Au contraire, leur combat est de se faire davantage connaître par le public. « J’estime que 1 à 2 % des vins bus par les Québécois viennent du Québec. Le problème est qu’à la SAQ les gens ne peuvent pas goûter, alors il ne reste que les événements publics pour faire découvrir nos vins. »
Valoriser l’âge
Autre constat de Monique St-Arnaud : les vins de vieilles vignes ne semblent pas encore valorisés au Québec, alors que c’est une pratique courante en Europe. « Une indication sur la bouteille qu’il s’agit d’une vieille vigne, je n’ai pas encore vu passer ça au Québec. On dirait que les millésimes, ça ne compte pas! C’est dommage, car il y a de très bons rouges qui se font et qui gagneraient à être vieillis », observe-t-elle. Elle espère que cette pratique gagnera en popularité dans les prochaines années.