29 novembre 2023 - 07:00
L’Œil Régional rencontre Paolo Cerruti
Une bière avec le PDG de Northvolt
Par: L'Oeil Régional
Paolo Cerruti, co-fondateur et PDG de Northvolt en Améridque du Nord
Photo Robert Gosselin | L’Œil Régional ©��

Paolo Cerruti, co-fondateur et PDG de Northvolt en Améridque du Nord Photo Robert Gosselin | L’Œil Régional ©��

Le président-directeur général de Northvolt Amérique, Paolo Cerruti, a accepté de rencontrer L’Œil Régional, le temps d’un verre, pour que les lecteurs puissent apprendre à mieux connaître l’homme derrière le géant Northvolt. Le journaliste et lui ont discuté de son parcours, de ses différents projets et de sa venue au Québec. Rencontre avec un homme qui va chambouler la région.*

Publicité
Activer le son

Devant un verre de bière blanche, entre les murs des Brasseurs du moulin à Belœil, le cofondateur de Northvolt souligne d’entrée de jeu qu’il travaille actuellement à « simplifier sa vie ». « Pendant neuf mois, j’ai vécu entre la Suède et le Canada. J’ai passé 70 % de mon temps en voyageant et sur le décalage horaire. Mon épouse est en train de paqueter la maison à Stockholm et j’ai fini par acheter à Montréal, dans le Mile End, en mi-décembre. » Sa femme devrait donc bientôt arriver, accompagnée du chat familial, alors que ses trois filles resteront à Londres et en Suède.

Mais le PDG est un habitué du décalage horaire. D’origine italienne, il a grandi à Turin, au pied des Alpes, entre la Suisse et la France. Après ses études universitaires, l’ingénieur est parti travailler en Angleterre et à Paris, en France, où il a vécu pendant plus de 14 ans. Pas pour rien que son français est impeccable, lui qui se débrouille aussi en anglais, en japonais, en suédois et en italien.

« C’est quand même facile de m’adapter ici; déjà de comprendre la langue, ça permet de mieux comprendre la culture. » Une culture pas si différente de la Suède, compare-t-il. « La culture québécoise est proche de certains traits de la culture suédoise, notamment en lien avec l’environnement; ce sont deux sociétés nées des industries forestière, papetière et minière. Ils ont certains traits de comportement [semblables]. Les deux [peuples] ne sont pas dans la confrontation, mais dans le consensus. »

Éternel nomade, donc? « Je n’ai pas vécu en Italie depuis 27 ans, même si j’y vais régulièrement. On me pose souvent la question de quel pays je me sens le plus attaché. Ma femme et moi en sommes venus à la conclusion que la maison, c’est là où il y a la famille. »

Il est donc encore en mode découverte ici. Difficile pour lui de choisir un pays préféré, même s’il a eu un énorme coup de cœur pour le Japon. « C’est difficile de comparer; j’ai vécu à différents endroits, mais à différents moments de ma vie, à des âges différents. »

D’ingénieur à entrepreneur

Après ses études, son premier job comme entrepreneur a été à Londres, dans une start-up en informatique. Il admet que l’entreprise n’existe plus aujourd’hui. « Ça a misérablement crashé, dit-il avec le sourire. On a eu l’idée de mettre des annonces de jobs sur internet, un peu avant le temps. C’était l’avant-garde, mais on ne savait pas comment lever de l’argent, on était très technique, mais très naïf sur l’aspect entrepreneurial et sur les façons de faire croître une entreprise. Ça a quand même été une bonne école. »

À l’été 1996, il part vers la France pour joindre les rangs de Renault, le constructeur automobile français, à titre d’ingénieur d’essai. En mars 1999, Renault fait l’achat de 44 % de Nissan. M. Cerruti quitte donc la France pour Tokyo, pour trois ans, puis une année en Inde. Avec le ralentissement économique, il revient finalement à Paris.

Le PDG de Northvolt en Amérique du Nord, Paolo Cerruti, a rencontré le journaliste de L’ŒIL dans la région le temps d’un verre de bière. Photo Robert Gosselin | L’Œil Régional ©

L’aventure Tesla

À l’automne 2011, il reçoit un coup de fil de Tesla, l’entreprise californienne spécialisée dans les voitures électriques. « Ça a un peu piqué ma curiosité, alors je suis allé les voir pendant un long week-end. La semaine d’après, je signais. »

C’est le produit qui l’a convaincu. « Ils m’ont fait rentrer dans le garage et je me suis dit que ça, ça ne pouvait que marcher, même si ça représentait un niveau de risque énorme sur papier. Très haut risque, mais la qualité du produit y était. »

Il se retrouve donc en Californie, où il fera la rencontre de Peter Carlsson, celui avec qui il lancera Northvolt. Même s’il connaît déjà le monde de l’automobile, c’est vraiment chez Tesla que Paolo Cerruti apprend à devenir un gestionnaire. « J’apprends comment monter une entreprise complexe à partir de zéro. J’ai eu l’occasion de monter la supply chain; embaucher, résoudre les problèmes. Et j’ai presque échoué. J’avais passé 14 ans chez Nissan-Renault, et le mot d’ordre dans ces entreprises, c’est “faites plus avec moins”, et non pas “développe tes équipes”. »

Alors que Tesla est déjà en bourse, l’entreprise livre ses 10 premières Model S, en 2012. Même s’il s’agit « d’une réussite extraordinaire », affirme M. Cerruti, l’entreprise en avait promis 4500 sur le marché. « De 10 à 4500, c’est sportif, surtout dans un environnement immature comme était Tesla, une jeune entreprise pas de processus. »

Le déclic

Après avoir quitté Tesla, en 2016, Paolo Cerruti jouera un peu le rôle de consultant auprès de l’Agence de l’énergie suédoise, sous recommandation de Peter Carlsson.

« On sondait le marché alors qu’on est plein cœur du Dieselgate avec Volkswagen (en lien avec l’utilisation par le groupe Volkswagen, de 2009 à 2015, de différentes techniques visant à réduire frauduleusement les émissions polluantes de certains de ses moteurs) », souligne M. Cerruti.

Après cette fraude immense, Volks avait besoin d’une nouvelle image et annonce des millions en investissements dans la transition électrique.

« Je pense [que le Dieselgate] a été un déclic très important dans la prise de conscience européenne qu’on en était à un point de non-retour. En Amérique du Nord, c’est arrivé un peu plus tard. »

Et plus il travaille le dossier de la transition avec Peter Carlsson, plus il voit le potentiel de ce que deviendra Northvolt.

« Peter et moi recrutons une petite équipe, on obtient quelques subventions pour de la recherche et on part au Japon. » Il y rencontrera Yasuo Anno, un leader dans l’industrie de la batterie au Japon, ayant notamment travaillé pour Panasonic et Sony. Sur le site web de Northvolt, l’alliance avec Yasuo Anno est considérée comme un moment clé dans la naissance de l’entreprise. « Il a tissé un réseau de gens à recruter. Il a donné vie à notre PowerPoint! Il est séduit devant notre volonté de construire une batterie verte, responsable […]. C’est dans l’ADN de notre société depuis le départ. »

Suède

Tout déboule ensuite très rapidement. En 2017 et 2018, les fondateurs réussissent à lever 100 millions pour construire leur première usine. Après une rencontre avec Volkswagen et les investisseurs Golden Sachs, le montage financier et le plan d’affaires de Northvolt prennent vie et en juin 2019, Northvolt signe avec Volks. « C’est là que tout part de façon irréversible. »

L’entreprise installe sa première giga-usine à Skellefteå, en Suède, une commune située à environ 800 kilomètres au nord de Stockholm. « Ce qui rend le site très attractif, c’est l’unicité de son réseau électrique, un peu comme ici avec un réseau hydroélectrique[…]. Le prix de l’énergie est bas et il faut beaucoup d’énergie. »

Par contre, il est plus difficile de convaincre les travailleurs de venir s’installer si loin des grands centres. « C’est la grosse leçon que nous avons apprise. Ici, au Québec, nous avons une proximité avec les grandes villes et les bassins d’emplois. » Si l’entreprise veut être fidèle à ses valeurs de soutien de l’écologie et de l’économie verte, elle doit réduire la longueur de ses chaînes d’approvisionnement et être près d’un bassin d’emploi et d’excellence académique pour recruter des jeunes et les développer, pense le PDG. « Sur la carte du monde, le 2e meilleur choix après la Suède, c’est le Canada », ajoute l’ingénieur pour justifier son choix de venir s’installer ici.

Bien sûr, l’Inflation Reduction Act de l’administration de Joe Biden (un programme de 369 milliards de dollars américains pour offrir des subventions aux entreprises américaines dans le domaine des voitures électriques) a amené les fondateurs à considérer les États-Unis. Mais l’hiver dernier, après une promesse du gouvernement canadien de subventionner les entreprises de batteries, le choix du Québec s’est imposé. « Le fédéral a mis les deux pays sur le pied d’égalité. Mais si on ajoute l’accès à l’énergie [hydroélectrique], les matières premières et un peu l’affinité culturelle plus naturelle du [Québec] avec l’Europe, ça nous a permis de trancher. »

L’avant et l‘après Northvolt

Dans différents entretiens avec L’ŒIL, les élus de la région estiment qu’il y aura un « avant et un après » Northvolt dans la Vallée-du-Richelieu. « Je crois qu’ils ont raison, confirme le PDG. Je pense qu’on va devenir l’un des plus gros, si ce n’est le plus gros employeur. Ça vient avec une grande responsabilité. Il faut aussi s’intégrer de façon très profonde dans le tissu social et économique local. Ça se manifeste en étant exemplaire, en ayant du business avec les entreprises locales. Il faut vraiment qu’on soit perçu comme étant un moteur. »

Présent à l’entretien, le directeur des communications et des affaires publiques de Northvolt, Laurent Therrien, est conscient que les entreprises de la région ont des craintes. Selon lui, ces dernières veulent surtout savoir s’ils pourront jouer un rôle de fournisseur auprès du géant suédois ou si l’entreprise viendra piger dans leur main-d’œuvre. « Pour la question des fournisseurs, c’est très clair : on souhaite bâtir des partenariats locaux, tout ce qui est service et construction. »

Concernant les emplois, il y a cette fausse idée qui circule selon lui que l’entreprise va « distribuer de l’argent à tout le monde ».

« Il faut être compétitif et se coller au marché, ajoute Paolo Cerutti. Nous n’avons pas intérêt à [engager] sous le marché, ni à aller trop haut, car cela va affecter notre compétitivité. Je pense qu’on va suivre les règles du marché et être aussi de bons citoyens corporatifs. »

Point de non-retour

Même s’il construit des batteries pour le transport, Paolo Cerruti ne conduit pas de voiture depuis plus de 7 ans, affirme-t-il. « Je pense que, malheureusement, vu la localisation du site sur la Rive-Sud et la localisation de la maison, je n’aurais pas le choix d’avoir une voiture. » Une voiture électrique, naturellement.

Questionné sur l’avenir du moteur à combustion, le co-fondateur de Northvolt pense qu’il lui reste encore quelques années devant lui. « Ça dépend des pays, mais certains ont mis des limites pour la vente, comme ici. On ne va pas voir disparaître le véhicule à essence tout de suite et je pense qu’il y aura des pompes jusqu’en 2045. Mais le point de non-retour est passé; l’avenir sera électrique. »

*À noter que l’entrevue a eu lieu avant les révélations concernant la destruction potentielle de milieux humides. Le sujet n’a donc pas été abordé.

image