30 septembre 2024 - 05:00
Dépliant des élus d’Oser Belœil
Une campagne d’information qui sème la controverse
Par: Olivier Dénommée
Le dépliant aux couleurs du parti Oser Belœil. Photo gracieuseté

Le dépliant aux couleurs du parti Oser Belœil. Photo gracieuseté

Dans les dernières semaines, le parti Oser Belœil, parti de la mairesse Nadine Viau et de quatre des huit conseillers élus, a annoncé le lancement d’une campagne d’information. Cela a notamment pris la forme d’un dépliant faisant la promotion des actions du conseil municipal, mais ne montrant et ne mentionnant que les élus de ce parti. L’opposition et les citoyens ont appris la semaine dernière que cette dépense était passée dans les budgets de recherche et de soutien des élus de la Ville, une information qui a suscité une levée de boucliers.

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En plus du dépliant, le caucus d’Oser Belœil a annoncé qu’il ferait du porte-à-porte pour rencontrer les citoyens et qu’une campagne publicitaire viendrait dans les médias locaux. Un sondage téléphonique pour « connaître les priorités des Belœillois » devrait suivre sous peu. Cette initiative vient d’un constat que la Ville de Belœil doit améliorer ses communications avec les citoyens pour notamment annoncer ses bons coups des dernières années. Ces actions sont annoncées à un peu moins de 14 mois des prochaines élections municipales dans un contexte déjà tendu alors que trois partis se retrouvent autour de la table de décision.

Le dépliant, un document plié de format 12 x 18 pouces clairement aux couleurs du parti Oser Belœil (teintes de jaune et bleu marine), mais sans jamais contenir son nom ni son logo, résume certaines réalisations des trois dernières années à la Ville, incluant la gratuité du transport collectif, l’implantation d’une ligne 311, l’apiculture urbaine ou encore la piscine en eau vive, testée en projet pilote cet été, et mentionne certains projets en cours comme le développement du nouveau quartier au nord des Bourgs de la Capitale. Le document est plutôt dense avec beaucoup de bribes d’informations, pour la plupart factuelles – seul un graphique sur l’évolution du taux de taxation est questionnable dans la mesure où le taux baisse déjà presque toujours tous les trois ans, en même temps que chaque nouveau rôle d’évaluation, et parce que le dernier budget a omis d’inclure deux taxes spéciales pour des réserves financières équivalent à 0,04 $ de plus au taux annoncé.

Dans le budget de recherche et de soutien

En séance publique du 23 septembre, le conseiller d’opposition Martin Robert a posé des questions sur certaines dépenses apparaissant dans la dernière liste des déboursés, un montant de 2682,04 $ pour chacun des conseillers d’Oser Belœil, totalisant 10 728,16 $. Le conseiller Karim-André Laz a confirmé que c’était une utilisation commune des fonds pour des outils de communications, mais a esquivé les différentes relances de son collègue afin de savoir à quoi ces sommes avaient servi exactement, se défendant qu’ils avaient suivi les lois et tout fait dans les règles de l’art en mettant cette dépense dans les budgets de recherche et de soutien des conseillers. La mairesse Viau et le conseiller Martin Dubreuil ont aussi évité de donner une réponse claire avant de clore le débat. C’est finalement la conseillère Julie Lavoie, en période de questions, qui a admis que le document de communication en question était le fameux dépliant.

Exercice partisan?

Pour les conseillers de l’opposition Louise Allie, Renée Trudel, Vincent Chabot et Martin Robert, il ne fait aucun doute que la production du dépliant par le caucus d’Oser Belœil a été faite de façon partisane. « Dans le dépliant, les conseillers des districts 1, 2, 4 et 7 n’existent pas, alors que tout ce qui s’y retrouve a été voté ensemble. Il n’y a que le projet de piscine en eau vive que l’on a voté contre, mais pour tout le reste, on a participé à l’implantation. Ils s’approprient notre travail commun à cinq », critique Martin Robert. « Pourquoi faire ça? Ça apporte quoi? Ils se vantent de faire preuve de transparence et d’intégrité, mais tout ce qu’ils font est de soulever des questions éthiques », poursuit Renée Trudel, persuadée que la Ville n’a pas vu le dépliant final puisque c’est une avance qui leur a été accordée. Elle croit aussi que la façon avec laquelle ça a été présenté en séance publique, en tentant de cacher à quoi l’argent avait vraiment servi, est une « insulte à l’intelligence » des Belœillois.

Les élus se basent sur un paragraphe du Guide de remboursement des dépenses de recherche et de soutien des conseillers pour dénoncer l’utilisation du budget pour payer un dépliant aux couleurs d’un parti : « Un conseiller municipal membre d’un parti politique devrait notamment s’assurer que les montants de recherche et de soutien auxquels il a droit servent à l’appuyer dans l’exercice de sa fonction, et non à servir les intérêts partisans de son parti. » Pour eux, même si le logo et le nom d’Oser Belœil sont manquants, il ne fait aucun doute que le dépliant est partisan et vient donner un avantage au parti de la mairesse en vue des prochaines élections. Et même s’ils ont le droit d’aussi utiliser le budget de recherche et de soutien aux conseillers, les quatre élus n’ont aucune intention de produire leur propre dépliant en contre-attaque, remettant en doute l’utilité et la pertinence d’une telle dépense. [N.D.L.R : Après vérification, il semble que la fonctionnaire qui a approuvé la dépense avait vu une épreuve du dépliant]

Une experte nuance

L’ŒIL a obtenu l’avis d’une spécialiste du monde municipal, Danielle Pilette, professeure associée à l’UQAM, sur la légitimité de payer un tel dépliant avec le budget de recherche et de soutien de la Ville, qui est beaucoup plus nuancé que les prétentions de l’opposition. « […] Je trouve qu’on a évité formellement la promotion à des fins partisanes, et qu’on s’est limité à des objectifs de la Ville. Bien sûr, on aurait peut-être pu demander à la direction générale et au Service des communications de la Ville de faire paraître un document municipal sur les points pertinents, mais on veut montrer qu’au-delà de l’administratif, il y a les orientations des élus. » Selon son interprétation, il y avait donc bel et bien une « intention de recherche » de la part des conseillers et elle doute que les critiques de l’opposition mènent à des réprimandes.

Elle constate toutefois « un certain déficit de cohérence » dans la raison poussant le caucus d’Oser Belœil à entamer une campagne de communication. « Si 91 % des citoyens sont satisfaits, selon le sondage Léger [dont les résultats ont été rendus publics par la Ville ces dernières semaines], on peut continuer le programme sans crainte ni peut-être grande nouvelle consultation de la population. » La consultation pour connaître les priorités des citoyens arrive aussi tardivement alors que l’exercice d’élaboration du prochain budget, le dernier du mandat, « est déjà passablement avancé à cette période-ci de l’automne ».

Oser Belœil maintient la ligne

Même s’ils sont passablement sur la défensive à cause du dépliant, les élus d’Oser Belœil ne sentent pas que leur initiative était maladroite. En entrevue, Karim-André Laz insiste sur l’importance de pouvoir parler aux citoyens pour les informer en cours de mandat et réitère que l’exercice n’était pas partisan, se voulant au contraire « hyper factuel ». « Mais est-ce qu’on est ouverts aux discussions pour mieux faire les choses? Bien sûr. » Selon lui, l’enjeu des couleurs associées à Oser Belœil pourrait se régler assez facilement, même s’il répète que c’est la Ville qui a approuvé les demandes pour rembourser les dépenses liées à la production et à la distribution de ce document. Notons qu’une demande d’accès aux documents a été envoyée à la Ville pour obtenir les pièces justificatives qui ont mené au paiement de 10 728,16 $ (dont environ 6800 directement pour le dépliant), mais que le journal ne les avait pas encore reçues au moment de mettre sous presse.

Le conseiller s’avoue aussi surpris du tollé observé à Belœil, alors que cette méthode de communication est fréquente dans d’autres villes québécoises telles que Montréal, Laval ou Terrebonne par exemple. « Rappelons que l’opposition a aussi le droit de faire le même exercice. Le but, c’est de servir la communauté », poursuit M. Laz. Questionné à savoir si le caucus prévoyait de produire un autre dépliant du même genre l’an prochain, plus près de la fin du mandat, le conseiller a affiché un certain malaise. « Personnellement, je serais plus soucieux de le faire peu avant l’élection. »

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