21 septembre 2022 - 07:00
Projet de règlement pour citer 55 bâtiments à Belœil
Une initiative qui ne passe pas auprès de plusieurs propriétaires
Par: Olivier Dénommée
Claude Demers et Suzanne Lalonde demeurent au 1100, rue Richelieu depuis 2011. Selon eux, leur maison ne devrait pas être citée puisqu'elle n'a rien gardé de ses matériaux d'origine.
Photo Robert Gosselin | L'Œil Régional ©

Claude Demers et Suzanne Lalonde demeurent au 1100, rue Richelieu depuis 2011. Selon eux, leur maison ne devrait pas être citée puisqu'elle n'a rien gardé de ses matériaux d'origine. Photo Robert Gosselin | L'Œil Régional ©

Les élus de Belœil étaient fiers de déposer, le 22 août, le projet de règlement relatif à la citation des immeubles patrimoniaux, « un pas de géant » pour préserver le patrimoine sur son territoire en citant en bloc 55 bâtiments. Mais la Ville n’a vraisemblablement pas prévu autant de résistance de la part des propriétaires de ces maisons, qui ont fait entendre leur mécontentement lors de la soirée d’information tenue le 14 septembre.

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Si la Ville se dit « satisfaite de la participation citoyenne » à cette soirée où « certains citoyens ont émis des inquiétudes en lien avec des éléments du projet de citations des immeubles patrimoniaux », l’écho des participants à qui L’Œil Régional a parlé est très différent. « Ce qu’on a dit à l’unisson pendant cette rencontre, c’est que ce règlement, on nous l’impose dans les dents et qu’on ne l’apprécie pas du tout. Le projet tel que présenté ne passe pas pour nous », résume Yan Cloutier, propriétaire du restaurant Cracheur de Feu situé sur la rue Richelieu.

Plusieurs propriétaires étaient sidérés de ne pas avoir été consultés plus tôt dans le processus. « La Ville a fait ça en cachette pendant la pandémie et elle met aujourd’hui le couteau à la gorge de beaucoup de gens alors qu’on en est à l’étape 6 sur 10. On n’est pas contre le patrimoine, mais il faut être déconnecté de la réalité pour mettre en place un tel règlement. Plusieurs sont inquiets et frustrés et la Ville a perdu beaucoup d’estime dans ce dossier », poursuit David St-Pierre, copropriétaire de la bâtisse abritant le Blanc Pur Café, aussi sur la rue Richelieu.

Invariablement, les propriétaires à qui le journal a parlé s’inquiètent des coûts faramineux qui les attendent si le règlement venait à être appliqué. Selon eux, la citation de leur bâtiment rendrait extrêmement difficiles les futurs travaux sur leur propriété, dont la demande doit être approuvée par le conseil municipal après avoir été étudiée par le conseil local du patrimoine. « Si le règlement est adopté, ça aura comme effet de reporter nos travaux d’entretien parce qu’on n’aura pas envie de s’embarquer dans ce processus seulement pour changer un barreau de galerie », ironise Claude Demers, vivant au 1100, rue Richelieu. « Dans plusieurs cas, les propriétaires ont bichonné leur maison, mais celle-ci ne comporte presque plus de caractéristiques originales. On fait tout pour que la maison garde son cachet, mais des restrictions à n’en plus finir, ça serait un vrai cadeau grec », estime-t-il. Certains propriétaires craignent même que le règlement ouvre la porte à des expropriations.

La conjointe de M. Demers, Suzanne Lalonde, s’inquiète aussi de certains propriétaires moins fortunés qui peinent déjà à joindre les deux bouts. « Ce ne sont pas que des gens riches qui ont ces maisons! La Ville veut profiter de belles maisons dans le Vieux-Belœil, mais c’est aux propriétaires qu’elle refile la facture, ce n’est pas correct du tout », commente-t-elle, ajoutant que, lorsqu’elle a acheté la maison avec son conjoint en 2011, on avait assuré au couple que celle-ci n’était pas patrimoniale. « Et là, on veut changer les règles du jeu. Nous n’aurions pas acheté si on avait su que c’est ce qui allait arriver. […] Nous ne voulons pas que notre maison soit citée et je sais que certains propriétaires veulent aussi contester leur citation », ajoute celle qui dénonce le fait que la Société d’histoire et de généalogie de Belœil–Mont-Saint-Hilaire – dont elle est membre – n’ait pas été consultée pour sélectionner les bâtiments qui ont une véritable valeur patrimoniale et que le choix des 55 bâtiments s’est fait de façon « arbitraire ».

L’enveloppe annoncée de 200 000 $ réservée pour aider les propriétaires à payer une partie de la facture des travaux qu’ils doivent entreprendre est nettement insuffisante, estiment les différents propriétaires questionnés. « Un budget de 200 000 $ pour 55 maisons, c’est de la poudre aux yeux », croit Yan Cloutier, donnant en exemple la soumission de 17 000 $ qu’il a reçue simplement pour changer une porte dans son restaurant.

Assurances à la hausse, valeur à la baisse

Plusieurs propriétaires craignent que le fait que leur bâtiment s’apprête à être cité diminue gravement leur valeur marchande. « Qui va vouloir acheter une maison patrimoniale à Belœil maintenant? », demande Yan Cloutier. Et, à plus court terme, cela aura des répercussions importantes sur les assurances. « Quand on a racheté le Restaurant Janick il y a quelques mois, on avait en tête de faire des rénovations, mais le statut risque de tout changer : on paie déjà 20 000 $ d’assurances par an et on se demande si on acceptera encore de nous assurer lorsque le bâtiment sera cité », craint Arnaud Nadeau, copropriétaire de l’endroit. « Les assurances sont très frileuses avec les bâtiments patrimoniaux », croit aussi Claude Demers.

Prochaine étape?

Dans les plans initiaux de Belœil, son projet de règlement doit être adopté le 24 octobre. Il n’est pas clair si cet échéancier sera maintenu et si des modifications y seront apportées ou non. « Le conseil n’a pas statué sur la suite pour l’instant », affirme la porte-parole de la Ville, Émélie Trinque. Les propriétaires espèrent toutefois que leur intervention a assez ébranlé la Ville pour l’amener à repousser ses échéanciers et à « faire ses devoirs » afin d’arriver à un règlement qui conviendra à l’ensemble des parties. « Je suis convaincu qu’il y a d’autres avenues que celle-là et qu’il est possible de protéger le patrimoine sans que ce soit aux dépens des propriétaires. J’espère qu’il y aura un dialogue entre la Ville et les citoyens visés pour arriver à un consensus », commente Arnaud Nadeau.

« On aime le patrimoine, mais on n’aime pas se faire avoir », ajoute Mme Lalonde, qui espère que la Ville ira au-delà du « coup d’éclat » pour mieux réfléchir à sa façon de protéger son patrimoine bâti. Des propriétaires, dont David St-Pierre, ont demandé d’organiser une rencontre avec la mairesse pour discuter des enjeux et des irritants de ce projet de règlement. Au moment d’écrire ces lignes, la date de cette rencontre n’avait pas été fixée.

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