3 avril 2024 - 05:00
Une sculpture de trop sur le terrain d’André Michel
Par: Olivier Dénommée
Installée l’automne dernier, la sculpture monumentale « Le pouvoir politique, Acte des sauvages, 1876 » a été déboulonnée, car elle contrevenait à la réglementation municipale. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

Installée l’automne dernier, la sculpture monumentale « Le pouvoir politique, Acte des sauvages, 1876 » a été déboulonnée, car elle contrevenait à la réglementation municipale. Photo François Larivière | L’Œil Régional ©

L’automne dernier, l’artiste André Michel présentait sa nouvelle sculpture « Le pouvoir politique, Acte des sauvages, 1876 », installée aux côtés de deux autres œuvres dans la portion de son terrain qu’il a cédée par bail emphytéotique à La Maison autochtone pour devenir les « Jardins de Wigwomadensis ». Quelques mois seulement après son installation, la sculpture a déjà été déboulonnée alors que la Ville de Mont-Saint-Hilaire considère qu’il y a trop de sculptures sur le terrain et que celle-ci est trop haute. André Michel souhaite que la réglementation soit modifiée pour retirer ces limitations.
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Artiste prolifique, André Michel a multiplié les œuvres d’art public ces dernières années, dont plusieurs à Mont-Saint-Hilaire. Ses plus récentes sculptures devaient être mises de l’avant dans les Jardins de Wigwomadensis, notamment du côté du « Jardin de réconciliation », dénonçant les « pouvoirs » économique, religieux et politique qui ont écrasé les Premières Nations depuis la colonisation, amenant à cinq le nombre de sculptures sur sa propriété, dont la plus récente d’un peu plus de 4 mètres de haut. Jamais il n’avait pensé que ce projet serait en conflit avec la réglementation de Mont-Saint-Hilaire et il dénonce aujourd’hui sa rigidité, alors qu’il est indiqué dans le règlement de zonage que « les sculptures ne peuvent excéder plus de 4 mètres mesurées à partir du sol » et qu’elles sont limitées à quatre maximum pour tout le terrain.

« En quoi ça dérange la Ville qu’il y ait une sculpture de plus sur le terrain? Pendant ce temps, des gens ont six voitures dans leur entrée de cour et ne se font pas embêter! Pour ce qui est de la hauteur, j’ai d’autres œuvres bien plus grandes à Mont-Saint-Hilaire et, à ma connaissance, la Ville n’a jamais rien eu contre elles », soutient l’artiste, faisant notamment référence à « Un arbre à aimer », une sculpture de 6 mètres de hauteur à proximité du 356, boulevard Sir-Wilfrid-Laurier.

Deux options s’offrent à André Michel : faire une demande de dérogation mineure ou encore une demande de changement de zonage, dans les deux cas moyennant des frais relativement importants. L’artiste n’a aucune intention de procéder à ces demandes, donnant en exemple des cas où la Ville a revu sa réglementation sans demander à un citoyen de payer.

« En 2002, le règlement limitait à un mât, une sculpture et une galerie par terrain. Le Regroupement des artistes professionnels (RAP) en avait touché un mot au maire Michel Gilbert et la Ville a décidé de modifier le règlement pour quelque chose de plus réaliste. C’est là que sont venus le nombre de sculptures et la hauteur. […] Plus tard, j’ai posé la question à Bernard Morel [ancien directeur de l’urbanisme à Mont-Saint-Hilaire], il m’a dit que la Ville s’était basée sur moi pour sa réglementation parce que j’étais le sculpteur le plus actif! », raconte André Michel. C’est ce même règlement qui brime aujourd’hui sa « liberté artistique » et qui devrait, selon lui, être mis à jour.

Appuis de taille

Si l’artiste est le seul à contrevenir au règlement, il n’est pas seul dans son combat : plusieurs artistes et organismes culturels québécois ont écrit à la Ville en soutien à André Michel. « Nous sommes persuadés qu’une révision [du règlement de zonage] serait en faveur de la ville, particulièrement en matière de développement et de promotion de l’Art et rejoindrait les objectifs de votre musée qui souhaite faire de la ville de Mont-Saint-Hilaire une plateforme de découverte de l’art public », estime Dominique Rolland, PDG du Centre des arts contemporains du Québec à Sorel-Tracy.

« Ne serait-il pas plus approprié d’accorder une dérogation à M. Michel en ce qui a trait au nombre et à la hauteur de ses sculptures? Je crois qu’une réflexion s’impose et je me permets, en tout respect, de suggérer à votre Municipalité de réviser sa réglementation quant à l’installation d’œuvres d’art privées », ajoute le sculpteur Pierre Leblanc. Culture Montérégie et le sculpteur André Fournelle abondent dans le même sens dans leur lettre respective.

M. Michel a aussi reçu des appuis de Camille Cazin, directrice générale du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec, et des sculpteurs Claude Millette et Armand Vaillancourt.

Pas la bonne cible

La Maison autochtone, par la voix de son président Richard Ruest, considère que le débat devrait être ailleurs : André Michel n’aurait jamais dû recevoir un avis de la Ville puisque la sculpture fautive se trouvait sur la parcelle gérée par La Maison autochtone. « Nous sommes profondément préoccupés par le fait que votre avis d’infraction et la demande de retirer spécifiquement cette œuvre magistrale reposent sur des raisons que nous considérons comme futiles, notamment en ce qui concerne le nombre et la hauteur de cette sculpture. Nous croyons fermement que cette intervention illustre malheureusement le pouvoir politique que nous dénonçons sur les Autochtones, renforçant ainsi le message porté par l’œuvre elle-même », déplore-t-il.

Un règlement là pour rester

Le maire de Mont-Saint-Hilaire, Marc-André Guertin, assure que l’inspecteur n’a fait qu’appliquer la réglementation en vigueur et que des options avaient été offertes à André Michel pour éventuellement avoir le droit de garder l’œuvre sur son terrain, mais note qu’il a préféré sortir sur la place publique à la place. D’ailleurs, il confirme qu’il ne suffit pas de déboulonner et de coucher sa sculpture : elle devra être retirée du terrain pour ne plus être en contravention.

Si le règlement de zonage existait bien avant l’arrivée des élus en place, M. Guertin considère qu’il n’y a pas matière à le modifier pour le moment. « La seule personne qui nous en parle, c’est André Michel. J’estime que le règlement actuel fait bien son travail. » Et les nombreuses lettres du milieu artistique ne changeront pas sa position.

Il trouve d’ailleurs bien ironique que l’artiste, qui se targue d’avoir contribué à modifier le règlement tel qu’il est aujourd’hui, soit celui qui n’arrive pas à le respecter. Il se défend d’ailleurs de brimer la liberté artistique sur le territoire de Mont-Saint-Hilaire. « Nous sommes une ville de culture et on l’assume très bien […], mais notre rôle reste de faire appliquer les règles en place. Est-ce qu’on peut faire usage de sa propriété comme bon nous semble, sans égard à la réglementation? Non. C’est vrai pour André Michel comme pour tous les autres citoyens de Mont-Saint-Hilaire », insiste le maire.

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